Traduction de Magali Marc de l’article de Lahav Harkov, paru sur le site de Tablet Magazine, le 8 novembre.
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Ce qu’il faut attendre de la politique iranienne de M. Bennett
Le nouveau gouvernement israélien veut travailler en étroite collaboration avec Washington, réduire la dépendance d’Israël à son égard et se préparer à une action militaire. Peut-il obtenir les trois ?
Lorsque Benjamin Netanyahou était encore Premier ministre, la politique iranienne d’Israël était claire : le Plan d’action global conjoint (JCPOA) est mauvais et nous n’en voulons en aucune façon.
Lorsque l’Administration Biden a annoncé son intention de revenir sur l’accord iranien de 2015 que Donald Trump avait abandonné et de persuader l’Iran de revenir sur ses avancées nucléaires, M. Netanyahou a refusé d’en discuter à la Maison-Blanche.
Pour lui, quiconque voulait maintenir le JCPOA ne cherchait pas à défendre les intérêts d’Israël. Tout au plus, Netanyahou était-il prêt à envoyer Yossi Cohen, alors chef du Mossad, mais à quelques semaines de la retraite, à Washington en mai pour essayer de convaincre le président Biden de ne pas le faire. Mais M. Cohen n’a pas réussi à influencer le président, qui avait déjà envoyé son envoyé spécial Robert Malley à Vienne pour des entretiens avec les négociateurs iraniens.
En juin 2021, Israël avait un nouveau Premier ministre avec une nouvelle approche. Naftali Bennett a décidé de combiner une collaboration étroite avec les Américains avec une préparation militaire accrue au cas où Israël devrait agir seul pour empêcher l’Iran d’obtenir la bombe.
M. Bennett était autrefois situé à droite de M. Netanyahou dans de multiples coalitions, adoptant une position plus belliqueuse sur la gestion du Hamas à Gaza, entre autres questions. Il a pleinement appuyé la politique iranienne de M. Netanyahou pendant ses sept années en tant que membre du cabinet, y compris un court passage en tant que ministre de la Défense. Mais depuis qu’il a remplacé M. Netanyahou, M. Bennett a changé de cap.
Une grande partie de ce changement peut s’expliquer par des marchandages : M. Bennett a abandonné sa position sur le droit de Netanyahou de former une coalition idéologiquement diversifiée comprenant l’extrême gauche et un parti islamiste, afin – selon M. Bennett – de remédier à la grande instabilité causée par quatre élections anticipées en l’espace de deux ans. (M. Netanyahou et ses partisans ont décrit cette position comme étant du simple opportunisme, permettant de sauter sur l’occasion d’être Premier ministre).
Maintenant, lorsqu’il s’agit de l’Iran – comme pour toute autre question – M. Bennett doit trouver un équilibre entre sa propre position droitiste de départ et celle des membres de son cabinet de centre-gauche, y compris le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid, qui doit devenir Premier ministre en 2023, selon un accord de rotation entre les deux hommes.
Le parti de M. Lapid, Yesh Atid, dispose de trois fois plus de sièges à la Knesset que le parti de M. Bennett, Yamina, ce qui lui confère une influence démesurée sur les décisions du gouvernement.
M. Lapid a toujours pensé que l’Iran ne pouvait être autorisé à se doter d’une arme nucléaire et que le JCPOA n’était pas un accord aussi solide qu’Israël l’aurait souhaité. Mais il a estimé que M. Netanyahou s’y est opposé de la mauvaise manière, et l’a dit dès 2015, lorsque M. Netanyahou s’est exprimé devant les deux chambres du Congrès malgré les objections fermes du président de l’époque, Barack Obama.
L’alliance entre Israël et les États-Unis est l’un de ses plus grands atouts, et lorsqu’Israël et les États-Unis sont en désaccord en public, c’est généralement Israël qui en sort affaibli. M. Lapid estime qu’Israël doit travailler en étroite collaboration avec toute administration américaine pour mettre fin à la menace iranienne, même si les deux parties ne sont pas d’accord sur tout. Pour lui, Israël ne peut tout simplement pas se permettre de se mettre à dos les Américains.
M. Bennett et ses collaborateurs conviennent qu’une nouvelle politique iranienne est nécessaire, en raison de ce qu’ils considèrent comme étant l’échec de l’approche de M. Netanyahou.
En public, Naftali Bennett a déclaré que son gouvernement « a hérité d’une situation dans laquelle l’Iran est au point le plus avancé de sa course à la bombe nucléaire… Il y a eu un grand fossé entre la rhétorique et les discours [de M. Netanyahu] et ses actes. ».
Derrière les portes closes, l’équipe de M. Bennett explique qu’une des plus grandes erreurs de M. Netanyahou a été de tout miser sur Donald Trump. Son pari que les États-Unis quitteraient définitivement l’accord avec l’Iran et infligeraient des sanctions au régime jusqu’à ce qu’il s’effondre ou abandonne son programme nucléaire s’est soldé par la défaite électorale de M. Trump et un niveau d’enrichissement de l’uranium iranien plus important que jamais.
Comme son prédécesseur, le nouveau gouvernement israélien n’apprécie pas les efforts diplomatiques de l’équipe Biden pour ramener l’Iran « dans le cadre » du JCPOA, comme l’a décrit le secrétaire d’État Antony Blinken.
Sa principale critique de l’accord avec l’Iran n’est d’ailleurs pas si différente de ce que les responsables israéliens disent depuis six ans : L’accord n’aborde aucune autre question que l’enrichissement de l’uranium, alors même que l’Iran développe des missiles balistiques, répand la terreur, soutient des armées par procuration dans des pays étrangers et lance des attaques de drones contre des alliés des États-Unis. Même les limites de l’accord sur l’enrichissement de l’uranium ne durent pas assez longtemps, et maintenant que l’Iran les a violées, l’Accord ne prévoit aucun recours pour contrôler le régime iranien.
Mais comme même la campagne publique de M. Netanyahou contre l’accord sur le nucléaire avec l’Iran n’a pas empêché Obama de le conclure, MM. Bennett et Lapid partent du principe qu’ils ne pourront pas convaincre Joe Biden de renoncer à ses efforts pour le sauver.
Au lieu de cela, ils tentent une approche différente – celle que M. Lapid souhaitait dès le départ – consistant à travailler en étroite collaboration avec les Américains sur une politique iranienne plus large, même si les deux parties sont en désaccord sur la valeur de l’accord sur le nucléaire. Israël n’est pas et ne peut pas être partie à des négociations avec l’Iran ; sa seule influence diplomatique passe par ses alliés, et le nouveau gouvernement va essayer d’utiliser cette influence à son avantage.
Jusqu’à la semaine dernière, la stratégie semblait fonctionner.
Les Iraniens se sont retirés des négociations indirectes sur le retour au JCPOA en juin et, depuis que MM. Bennett et Lapid sont au pouvoir, ils n’ont toujours pas proposé de calendrier pour la reprise de ces négociations.
Plus important encore, cela signifie que les États-Unis ne peuvent pas réintégrer l’accord ou lever les sanctions.
Toutefois, l’inconvénient, comme l’a souligné M. Lapid lors d’une visite à Washington à la mi-octobre, c’est que l’Iran « traîne les pieds » afin de faire avancer son programme nucléaire pendant que le monde attend son retour à Vienne.
Puis, le 3 novembre, l’Iran a annoncé qu’il reprendrait les négociations à la fin du mois. Nous pourrions découvrir dans quelques semaines à quel point la stratégie Bennett-Lapid a vraiment fonctionné.
Lors de sa conférence de presse d’octobre avec M. Lapid, M. Blinken a précisé que les États-Unis préfèrent la diplomatie, mais il n’a pas fixé de date limite pour la reprise des négociations avec l’Iran, ce que M. Lapid avait espéré obtenir pendant son séjour à Washington.
M. Blinken n’a pas non plus dit ce que l’Administration Biden ferait si l’Iran ne revenait pas aux négociations plus tard en novembre, comme son négociateur en chef a récemment déclaré qu’il le ferait.
M. Blinken a toutefois déclaré – comme les Israéliens le préviennent depuis des mois –
« Nous nous rapprochons d’un point où le retour au respect du JCPOA ne permettra pas en soi de récupérer les avantages du JCPOA, et ce parce que l’Iran a utilisé ce délai pour faire progresser son programme nucléaire de diverses manières ».
M. Blinken a ajouté que les États-Unis « examineront toutes les options pour faire face au défi posé par l’Iran », ce qui constitue un changement par rapport au langage précédent et indique que l’Administration Biden n’exclut pas une action militaire.
Le négociateur de l’Accord, M. Robert Malley a également déclaré que les États-Unis envisageront « toutes les options pour faire face au programme nucléaire de l’Iran s’il n’est pas prêt à accepter de revenir dans les limites fixées » par le JCPOA.
M. Lapid est revenu de Washington plein d’espoir et l’équipe de M. Bennett considère également que la coopération avec l’Administration Biden est fructueuse. Ils considèrent ces changements de langage comme des victoires modestes, mais significatives, des témoignages publics de la convergence croissante entre les politiques américaine et israélienne concernant la menace iranienne.
La perception publique selon laquelle Jérusalem et Washington commencent à avoir une vision plus commune de Téhéran n’est pas une mince affaire, affirment-ils. Mais en réalité, « d’énormes points d’interrogation subsistent », a admis une source diplomatique haut placée. Le temps presse pour que le JCPOA fasse la preuve de ses avantages, même marginaux, et ne se contente pas d’ouvrir la voie à la levée par les États-Unis des sanctions contre l’Iran en échange de limitations à court terme et sans intérêt de l’enrichissement de l’uranium, que le régime a déjà violées. Et Jérusalem n’a toujours pas reçu de réponse claire de Washington concernant son plan B.
« La stratégie consiste à parler et travailler ensemble afin de bâtir des positions communes autant que possible, même si nous ne sommes pas d’accord », m’a dit la source. « Les Américains savent que nous nous réservons le droit de nous protéger comme bon nous semble, mais si nous pouvons trouver un plan d’action commun plus efficace, c’est ce que nous préférons. »
Même si MM. Blinken et Malley ont déclaré publiquement que le temps est compté pour l’Iran, sans fixer de date limite concrète pour les pourparlers ni informer Israël d’éventuels plans de rechange, il est clair à ce stade que l’Administration Biden reste avant tout déterminée à sauver l’accord sur le nucléaire. Cela signifie que le temps presse moins pour l’Iran que pour Israël, qui doit donner la priorité à la formulation de son propre plan B.
Le défi, selon Naftali Bennett, est que sous M. Netanyahou, les forces armées israéliennes et les autres services de sécurité israéliens n’avaient pas vraiment de plan d’urgence au cas où la campagne de sanctions de Donald Trump ne fonctionnerait pas. Il semble difficile de croire que M. Netanyahou n’aurait pas eu de stratégie de rechange, mais quatre élections en deux ans et l’absence de budget de l’État pendant trois ans ont perturbé et entravé une grande partie du travail du gouvernement, y compris sa politique iranienne.
Depuis, les hauts gradés de l’armée ont appuyé la nouvelle orientation de M. Bennett lors de briefings confidentiels aux journalistes, et le chef d’état-major général, Aviv Kochavi, a ordonné une multitude d’activités pour rattraper le temps perdu.
Contrairement à ce qu’ont dit l’ancien Premier ministre Ehud Barak et certains commentateurs israéliens, rien ne prouve que MM. Bennett, Lapid ou Kochavi soient résignés à vivre avec le spectre d’un Iran nucléaire. Ils ont tous maintenu qu’Israël se réserve le droit d’agir unilatéralement, y compris dans le cas où les États-Unis rejoindraient le JCPOA, a déclaré un haut fonctionnaire. « Le programme nucléaire iranien a atteint un moment décisif », a déclaré M. Bennett à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre.
« Et notre tolérance aussi. Les mots n’empêchent pas les centrifugeuses de tourner. » « Nous ne permettrons pas à l’Iran d’acquérir une arme nucléaire », a-t-il ajouté.
La « doctrine Begin » – selon laquelle Israël prendra des mesures préventives pour empêcher ses ennemis d’acquérir des armes nucléaires, ce qu’il a fait en bombardant des réacteurs nucléaires en Irak en 1981 et en Syrie en 2007 – semble toujours d’actualité, même si sa mise en œuvre est devenue moins spectaculaire.
Israël ne revendique pas toujours la responsabilité de ces actions, mais certaines sont plus manifestement le fait des forces armées et des services de renseignement israéliens (comme les assassinats ciblés de scientifiques du nucléaire iranien) que d’autres (comme les mystérieuses coupures de courant dans les sites nucléaires iraniens). Mais ces types d’attaques secrètes et quasi secrètes sont la continuation directe d’une politique vieille d’au moins 40 ans.
Comme le dit M. Bennett, la différence aujourd’hui est que l’approche d’Israël ne consiste « pas seulement en avertissements apocalyptiques, mais en initiatives. Nous pensons ce que nous disons ».
À la Knesset, deux semaines avant son discours à l’ONU, M. Bennett a parlé du « fossé entre la rhétorique et les discours [de M. Netanyahou] et de ses actions ».
En effet, le nouveau budget de l’État, approuvé par la Knesset la semaine dernière, ajoute des milliards de shekels pour se préparer au scénario cauchemardesque d’un Iran au seuil nucléaire. Le ministre de la Défense et vice-Premier Ministre Benny Gantz a récemment déclaré à la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset que ce coup de pouce budgétaire permettra « d’investir dans nos capacités offensives et défensives, d’améliorer notre supériorité technologique et d’accélérer nos efforts afin de garantir que, malgré le fait que l’Iran représente avant tout un défi mondial et régional, Israël aura toujours la capacité de défendre ses citoyens avec sa propre armée ».
M. Gantz a longtemps prôné une politique semblable à celle de M. Lapid, consistant à travailler en étroite collaboration avec les Américains sans rendre les intérêts sécuritaires israéliens trop dépendants d’eux.
Lorsque M. Netanyahu a fait la promotion d’un pacte de défense mutuelle avec les États-Unis en 2019, M. Gantz s’y est opposé au motif qu’elle subordonnerait les besoins militaires d’Israël aux intérêts américains et « limiterait la capacité d’Israël à protéger le pays contre les menaces auxquelles il est confronté. »
Des rapports récents ont apporté plus de lumière sur ce qu’Israël prévoit faire avec des crédits accrus concernant le dossier iranien, y compris une liste d’achats de 5 milliards de shekels (1,5 milliard de dollars) qui comprend des munitions « destructrices de bunkers » conçues pour atteindre des cibles souterraines, et le type d’avion nécessaire pour effectuer des « pénétrations massives de munitions », dont Israël ne dispose pas actuellement.
Selon la chaîne israélienne Channel 12, Jérusalem s’intéresse au GBU-72 Advanced 5K Penetrator que l’armée de l’air américaine a testé avec succès en octobre et qui pourrait être capable d’endommager l’installation nucléaire iranienne de Fordow, enfouie dans une montagne.
Pour sa part, l’armée de l’air israélienne a prévu des fonds et du temps l’année prochaine pour commencer à s’entraîner à des frappes sur les sites nucléaires iraniens. L’achèvement de ces plans d’attaque serait la priorité absolue des Forces aériennes israéliennes (FAI), mais ils sont encore en cours d’élaboration et certains pourraient prendre plus d’un an pour devenir viables.
La politique iranienne de Bennett consiste, en résumé, à s’assurer qu’Israël est prêt à une attaque militaire, tout en collaborant aussi étroitement que possible avec Washington pour faire en sorte que cela ne soit jamais nécessaire.
Appelez cela la doctrine de Mel Brooks : espérer le meilleur, s’attendre au pire.
© Traduction et adaptation, Magali Marc pour Israël 24/7.org
Source : Tabletmag