Initialement publié le 22 juillet 2023 @ 20h51
De fait, la politique réellement menée par les Britanniques en Palestine dès 1923 et jusqu’en 1947 semble bien avoir eu pour objet d’amener les instances représentatives du peuple juif en général, à commencer par l’Organisation sioniste mondiale, et du peuple juif palestinien en particulier, à renoncer volontairement à leurs droits sur la Palestine. Et elle a été largement couronnée de succès : ces instances ayant accepté ou toléré successivement l’amputation de la Palestine orientale ou transjordanienne, en 1923, les restrictions diverses apportées à l’immigration juive, des projets de « partition »de la Palestine occidentale, entre Méditerranée et Jourdain – Plan Peel de 1937, Plan Woodhead de 1938 -, l’indépendance de la Transjordanie en 1946. Sans l’inique Livre Blanc de 1939, qui ne prétendait plus aménager le Mandat avec le concours plus ou moins forcé et contraint des Juifs, mais l’abolir, les Juifs palestiniens n’auraient pas probablement engagé, dès 1939 pour les uns, à partir de 1945 pour les autres, une action politique et militaire en vue de la transformation de la Palestine mandataire en Etat juif souverain
Cette action politique et militaire amène la Grande-Bretagne à renoncer le 2 avril 1947 au mandat sur la Palestine. Le 29 novembre 1947, les instances représentatives juives acceptent un plan de partage de la Palestine occidentale en trois entités – Etat juif, Etat arabe et zone internationale provisoire (corpus separatus) de Jérusalem – élaboré par une commission de l’ONU, et ratifiée par l’Assemblée générale de cette organisation. Si les instances représentatives arabes de Palestine et les pays de la Ligue arabe avaient également donné leur accord, les droits des Juifs à l’ensemble d’un territoire de Palestine, tels qu’ils avaient été énoncés par les actes internationaux de 1920 et 1922, auraient été définitivement restreints au seul Etat juif ainsi défini et dans une moindre mesure à Jérusalem.
Mais ni les instances arabes palestiniennes ni les pays de la Ligue arabe n’ont accepté le plan de l’ONU. Or le droit international public prévoit une telle situation : la nature d’un traité étant d’être exécuté, un traité qui ne l’est pas, par suite du retrait ou de la défaillance de l’une des parties concernées, est réputé nul et non avenu, et la situation juridique antérieure, statu quo ante, est reconduite. Comme le note dans un télégramme au Quai d’Orsay un diplomate français en poste à Jérusalem pendant la guerre de 1947-1948, les dispositions du Mandat de 1923 redeviennent donc « la loi du pays ». Elles « s’accomplissent » immédiatementen Israël, tant dans le territoire attribué aux Juifs par le plan de partage de 1947 que dans les secteurs conquis en 1948 sur ce qui aurait pu être constitué en Etat arabe ou en zone internationale de Jérusalem : puisque le nouvel Etat est établi au profit et dans l’intérêt du peuple juif, conformément au Mandat, notamment en matière d’immigration. Elles restent en vigueur, bien qu’ « inaccomplies » et suspendues sine die, dans les zones qui passent sous le contrôle d’Etats arabes : la plus grande partie de la Cisjordanie et les secteurs nord, est et sud de Jérusalem, occupés par les Transjordaniens (qui prennent à cette occasion le nouveau nom de Jordaniens) ; et la bande de Gaza, occupée par l’Egypte.
(Il existe, sur ce point, une jurisprudence de la Cour internationale de justice (ICJ) : l’opinion, rendue en 1950, sur le Sud-Ouest Africain – la Namibie actuelle -, colonie allemande devenue mandat de catégorie C à l’issue de la Première Guerre mondiale, que l’Afrique du Sud entendait annexer. La Cour internationale avait estimé à cette occasion qu’un mandat de la SDN, sans acception de catégorie, ne pouvait être éteint que par la réalisation de son objet premier, quel qu’il soit, même si les conditions géopolitiques s’étaient modifiées.)
En 1949, Israël signe des cessez-le-feu avec tous ses voisins. Ces accords doivent être suivis de traités de paix. Mais le chef d’Etat arabe le plus disposé à une telle évolution, le roi Abdallah de Jordanie, est assassiné dès 1951. Ses successeurs – son fils Talal, puis le Conseil de Régence qui prend le pouvoir en 1952 – interrompent les négociations. En Egypte, le régime fascisant instauré par Gamal Abd-el-Nasser en 1953 rejette toute normalisation avec Israël. Les autres pays arabes se raidissent à leur tour. Ce n’est qu’en 1979, trente ans après les cessez-le-feu de Rhodes, dix ans après la mort de Nasser, et après plusieurs autres guerres majeures, qu’un premier traité de paix israélo-arabe sera enfin signé à Washington : entre Israël et l’Egypte. Un second traité, avec la Jordanie, sera signé en 1994, quarante-cinq ans après Rhodes.
La logique de 1947 s’applique à 1979. Si des traités de paix avaient confirmé les cessez-le-feu, dès les années 1950, et transformé les lignes d’armistice (la « ligne verte ») en frontière internationale, les dispositions du Mandat de 1923, un moment ranimées du fait de la non-application du plan de partage, se seraient définitivement éteintes en Cisjordanie, dans le secteur de jordanien de Jérusalem, et à Gaza ; Israël n’aurait pu exercer par la suite la moindre revendication sur ces territoires. Mais en l’absence de traité, l’Etat juif garde ses prérogatives. Ce que révèle brusquement la guerre des Six Jours qui, en 1967, lui livre les trois territoires contestés, ainsi le Golan syrien et le Sinaï égyptien : tout en se conformant, en pratique et pour l’essentiel, aux obligations d’une « puissance occupante », telles qu’elles sont définies par les conventions de Genève, les Israéliens rappellent qu’ils détiennent des droits éminents sur toute l’ancienne Palestine mandataire. Ils s’en autorisent pour réunifier Jérusalem sous leur autorité, mais aussi pour « implanter » des localités civiles israéliennes en Cisjordanie et à Gaza. Sous un régime de simple occupation militaire, cela pourrait constituer une violation de la IVe Convention de Genève. Compte tenu du statut juridique originel de la Palestine, c’est au contraire un acte légitime. Même s’il peut être considéré, politiquement ou géopolitiquement, pour inopportun.
De nombreux juristes de premier plan souscrivent à cette analyse : notamment l’Américain Eugene Rostow, ancien doyen de la faculté de droit de Yale, et ancien sous-secrétaire d’Etat sous l’administration Johnson, et l’Australien Julius Stone, l’un des plus grands experts en droit international du XXe siècle. Cela amène les pays où le droit en soi joue un rôle dans le débat politique, notamment les Etats-Unis, à reconnaître explicitement les droits éminents du peuple juf sur l’ancienne Palestine mandataire – le Congrès américain votera en 1995, sous l’administration Clinton, une loi enjoignant l’installation de l’ambassade américaine en Israël à Jérusalem – , ou du moins réserver leur opinion, en parlant de « territoires contestés » (disputed areas) plutôt que de « territoires occupés » (occupied areas). Cela empêche, par ailleurs, le vote d’éventuelles sanctions contre Israël, dans des organisations internationales où les ennemis de l’Etat juif – pays arabes ou musulmans, Etats communistes jusqu’au début des années 1990, et pays dits « non-alignés »– disposent pourtant de « majorités automatiques ».
Pour autant, les Israéliens ont longtemps hésité à faire de leurs droits éminents le cœur de leur argumentation diplomatique sur la question des territoires conquis en 1967.
Leur principale motivation, à cet égard, a longtemps relevé de la politique intérieure. Cette question a servi jusqu’aux accords d’Oslo de 1993, voire même jusqu’au retrait de Gaza en 2005, de démarcation symbolique entre une droite populiste ou religieuse, décidée à les conserver, et une gauche élitiste et laïque, prête à les céder en échange de la paix : si bien que les hommes politiques, diplomates et juristes de gauche ou du centre-gauche ont redouté, en insistant sur la notion de droits éminents, de faire le jeu de leurs adversaires de droite ou du centre-droit.
Une seconde motivation était d’ordre technique : les Israéliens ont jugé plus simple d’exciper, pour l’ancien secteur jordanien de Jérusalem, de la Cisjordanie et de Gaza, d’un statut de territoire au statut indéterminé. En effet, l’annexion des deux premiers territoires à la Jordanie n’a jamais été reconnue en droit international entre 1949 et 1967 ; et le troisième territoire, Gaza, a été placée pendant la même période sous une simple administration égyptienne. Mais en fait cette doctrine subsidiaire renvoie implicitement aux droits éminents, Israël faisant valoir sur ces territoires, outre son droit incontestable d’ « occupant belligérant » à la suite de la guerre de 1967, des « droits antérieurs » sur l’ensemble de la Palestine mandataire.
En janvier 2012, le gouvernement israélien a demandé à une commission spéciale d’examiner le statut juridique de la Cisjordanie et des localités juives qui y ont été créées depuis le cessez-le-feu de 1967. Connue sous le nom de Commission Lévy du nom de son président, Edmund Lévy, ancien juge à la Cour suprême d’Israël, celle-ci a retenu explicitement, dans un rapport daté du 21 juin 2012 et rendu public le 9 juillet de la même année, la doctrine des droits éminents de l’Etat hébreu sur la Cisjordanie, et donc de la légalité absolue de ses localités juives. Le document a été ensuite examiné et approuvé par le Bureau du Conseiller juridique du Gouvernement, un organisme comparable, par ses attributions et son autorité, au Conseil d’Etat français.
En apportant son soutien à la résolution UNSC 2334, le président Obama donne à son successeur, le président Trump, l’opportunité de redéfinir clairement la doctrine diplomatique américaine sur la Palestine. Et d’exiger sans détours le respect du droit.
© Michel Gurfinkiel, 2016
Annexe :
Le Statut des Territoires de Judée et de Samarie (ou Cisjordanie) selon le droit international
(Rapport de la Commission Lévy, 21 juin 2012)
The Status of the Territories of Judea and Samaria according to International Law (As defined by the Levy Commission Report, 21 June 2012)
In light of the different approaches in regard to the status of the State of Israel and its activities in Judea and Samaria, any examination of the issue of land and settlement thereon requires, first and foremost, clarification of the issue of the status of the territory according to international law.
Some take the view that the answer to the issue of settlements is a simple one inasmuch as it is prohibited according to international law. That is the view of Peace Now (see the letter from Hagit Ofran from 2 April 2010); B’tselem (see the letter from its Executive Director Jessica Montell from 29 March 2012, and its pamphlet Land Grab: Israel’s Settlement Policy in the West Bank, published May 2002); Yesh Din and the Association for Civil Rights in Israel (ACRI) (see the letter from Attorney Tamar Feldman from 19 April 2012); and Adalah (see the letter from attorney Fatma Alaju from 12 June 2012).
La décision du créateur du ciel et de la terre qui a réservé ce territoire pour son peuple est au dessus de toute décision humaine même à celle de l ONU gangrené par des antisémites
Les juifs sont revenus chez eux dans le patrimoine de leurs ancêtres au grand dam des antisémites