Initialement publié le 7 septembre 2020 @ 16h17
Sur France Inter, le ministre des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian a déclaré : « Il y a le Hezbollah militaire, que nous condamnons, et le Hezbollah politique, que les Libanais ont élu. On parle avec des gens qui ont été élus. » Et pas un mot n’est sincère.
La distinction entre deux branches du Hezbollah n’existe pas, c’est une construction artificielle : il n’existe qu’un seul Hezbollah. Le plus récent à l’admettre est l’Allemagne, qui a interdit le Hezbollah dans sa totalité en avril 2020, en partie grâce aux enquêtes et au travail d’investigation du journaliste israélien du Jerusalem Post et ami de Dreuz, Benjamin Weinthal.
J’écris « admettre » parce que la distinction entre deux soi-disant branches du Hezbollah est un mensonge, un mensonge d’Etat : Le Drian, comme Macron, comme le Quai d’Orsay savent parfaitement que la distinction est factice. Cela ne l’empêche absolument pas de mentir aux Français et au monde entier avec aplomb :
- Lorsque le ministre, ce dimanche sur France-Inter, déclare « Il y a le Hezbollah militaire, que nous condamnons, et le Hezbollah politique, que les Libanais ont élu. On parle avec des gens qui ont été élus, » il révèle en fait le pot-aux-roses à ceux qui se donnent la peine d’écouter attentivement. J’y arrive.
- Lorsque Le Drian dit, dans son interview avec la chaîne française : « Nous sommes presque à bord du Titanic, mais sans l’orchestre… Les gens parlent sans fin, mais rien ne se passe », il se garde bien de dévoiler que les gens parlent sans fin et tournent en rond pour ne pas aborder le nœud de leur problème, le tabou absolu, le sujet insoluble que la France et l’Europe refusent de regarder, le cancer qui les ronge en permanence : le Hezbollah. Le Hezbollah qui agit non pas pour les intérêts du Liban et des Libanais, mais pour ceux d’un pays étranger, l’Iran, lequel n’a que faire du sort du pays et de ses habitants, du moment qu’il peut étendre son emprise géopolitique.
Une branche militaire et une branche politique ? Vraiment Le Drian ?
Je pourrais citer les témoignages des experts les plus reconnus et des diplomates les plus honorables, dresser la liste des pays, occidentaux comme arabes, qui refusent le façonnage de cette distinction, de ces deux branches qui n’existent pas. Je préfère citer le Hezbollah lui-même :
- Naim Qassem (ou Kassem), secrétaire général adjoint du parti a affirmé (1) en 2009 :
« Khamenei fixe pour nous les lignes directrices générales qui nous libèrent de toute culpabilité et nous confèrent une légitimité ».
Qassem a souligné que le Hezbollah ne peut pas lancer une opération contre Israël sans justification religieuse de la part du guide suprême iranien.
https://www.ajc.org/news/setting-the-record-straight-on-hezbollah-full-report
- Le 24 juillet 2013, dans un discours lors de la cérémonie annuelle de l’Iftar central du Comité des femmes, Sayyed Hassan Nasrallah déclarait qu’il n’existe qu’un seul Hezbollah :
« La distinction entre l’aile militaire et l’aile politique est une innovation, et la seule sanction de l’aile militaire n’aura aucun effet au-delà du symbolique et du psychologique, car le Hezbollah n’a pas de telles divisions internes. »
- Naim Qassem a également déclaré explicitement :
« Nous n’avons pas une aile militaire et une aile politique ; nous n’avons pas le Hezbollah d’un côté et le parti de la résistance de l’autre… Chaque élément du Hezbollah, des commandants aux membres ainsi que nos différentes capacités, est au service de la résistance ».
« Le Hezbollah a une direction unique… La même direction qui dirige le travail parlementaire et gouvernemental mène également des actions de jihad dans la lutte contre Israël. »
Il a ajouté : « Nous n’avons pas une aile militaire et une aile politique ; nous n’avons pas le Hezbollah d’un côté et le parti de la résistance de l’autre ».
- Qassem avait déjà précisé qu’il n’existait qu’un seul Hezbollah, dans une interview (1) publiée dans le journal du mouvement, Al-Ahad, le 21 août 1992 :
« Le Hezbollah a décidé qu’il doit agir pour fournir une représentation au mouvement luttant contre l’ennemi israélien, qui servira de fer de lance au mouvement de résistance contre l’occupation israélienne et qui réunira autour de lui tous les partis luttant contre l’ennemi sioniste….
Notre participation au parlement ne changera pas les principes que nous défendons et nous continuerons à lutter…
Notre lutte à l’intérieur du parlement sera menée simultanément avec la lutte à l’extérieur. Je tiens à souligner que notre participation aux élections ne nous fera pas renoncer à nos principes et qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur à cet égard ».
https://www.ajc.org/news/setting-the-record-straight-on-hezbollah-full-report
- En 1992, Muhammad Fanish, un membre éminent du Hezbollah et son représentant au Parlement à l’époque, a déclaré :
« Notre entrée au parlement est une forme de résistance au niveau politique. En effet, il est naturel pour les membres de la résistance d’avoir une béquille politique pour les soutenir. C’est parce que la résistance armée a besoin d’une assistance dans l’arène politique… Notre entrée au Parlement est un facteur qui aide la résistance armée contre l’occupation ».
Entretien avec Muhammad Fanish, Aliwaa, 16 septembre 1992.
- En juin 1996, Fanish déclarait :
« La résistance sous toutes ses formes est légitime tant dans la sphère de l’activité militaire du djihad que dans la sphère de l’activité politique, dans la sphère de l’activité culturelle… «
Entretien avec Muhammad Fanish, Radio Kol Ha’am, 18 juin 1996.
- En 2002, il a affirmé que :
» l’on ne peut pas séparer la branche militaire et la branche politique du Hezbollah ». Il convient de noter que Muhammad Fanish était l’un des ministres du Hezbollah au sein du gouvernement libanais.
Muhammad Fanish, Al-Manar, 18 janvier 2002.
- En 2000, Naim Qassem, député de Nasrallah et membre du Conseil de la Choura, a résumé la nature et le rôle de ce Conseil. Il a déclaré :
« le Hezbollah a une seule direction – le Conseil de la Shura qui décide et gère toutes les activités politiques, le djihad, culturelles et sociales…
Le secrétaire général du Hezbollah est à la tête du Conseil de la Shura ainsi que du Conseil du djihad, ce qui signifie que nous avons [une] direction et une administration ».
Al-Mustaqbal, 31 décembre 2000.
Pourquoi faire une distinction qui n’existe pas ?
Si le Hezbollah ne se considère pas comme une division en ailes ou en factions séparées ; si c’est tout le contraire qui est vrai ; si à diverses occasions, ses dirigeants ont déclaré sans équivoque que le Hezbollah est une organisation hiérarchique fonctionnant comme une entité unique sous le contrôle du Conseil de la Choura (conseil de direction), dirigé par Hassan Nasrallah – dans lequel chaque aile de l’organisation est représentée ; si son entrée en politique n’a pas modéré l’organisation ; si elle n’a pas modéré ses acteurs islamistes ni ses acteurs terroristes, pourquoi Le Drian s’obstine-t-il à faire cette distinction ?
La raison de cette construction diplomatique artificielle d’un Hezbollah à deux branches est exactement ce que dit Le Drian : pouvoir continuer à parler avec un gouvernement libanais comprenant des terroristes, des membres du Hezbollah, ou des dirigeants et ministres intrinsèquement sous la coupe de l’organisation terroriste ; collaborer, fournir de l’assistance et vendre de l’armement pour une armée dont la différenciation avec le Hezbollah est devenue virtuellement impossible.
La France, en désignant tout le Hezbollah organisation terroriste, s’imagine aussi qu’elle mettrait en danger les troupes françaises stationnées au Liban dans le cadre de la FINUL ainsi que les civils français vivant au Liban. Peut-être. Mais cette vision à très court terme ne passe pas, car la lutte contre le terrorisme impose une vision à long terme et une détermination dont la diplomatie française n’est pas riche.
La lutte contre le terrorisme suppose un niveau de compréhension que la France ne parvient pas à atteindre – son embourbement au Mali ne me démentira pas. Le Hezbollah a des faiblesses, et il faut frapper là où la cuirasse est fine : ses ressources financières. Le Hezbollah – son implantation en Amérique du Sud est un parfait exemple – effectue constamment des calculs coûts-avantages, et il s’adapte. Ainsi, il présente constamment des vulnérabilités. Le Hezbollah est conscient de ses limites et il navigue avec précaution. La France n’arrive pas à bien comprendre tout cela parce qu’elle est aveuglée par ses propres intérêts à trop court terme.
Elle s’invite au Liban pas tant pour aider l’ancien protectorat que pour protéger ses intérêts immédiats et retrouver un prestige perdu.
Reconnaître la réalité qu’il n’existe qu’un seul Hezbollah, c’est s’interdire tout dialogue immédiat avec les dirigeants du pays jadis sous protectorat français, mais c’est sauver peut-être demain le Liban de ses démons.
Les erreurs du mandat français de 1920 sur le Liban se répètent en 2020 avec de nouveaux acteurs dans les mêmes rôles. Comme un seul homme imbu de sa compétence auto-décernée, l’Etat français fonce dans le mur d’une catastrophe à venir qu’il est trop orgueilleux pour voir, aveuglé par les mêmes déformations idéologiques, les mêmes rigidités dogmatiques, les mêmes déclarations hypocrites, la même arrogance politique et les mêmes blocages bureaucratiques.
Pourquoi le projet de la France est voué à l’échec
Aucune réalité ne se construit durablement sur un mensonge. Un jour où l’autre, le mensonge vous saute à la gueule. Il vient de sauter à la gueule de 190 Libanais qui ont perdu la vie, début août sur le port de Beyrouth.
Si, en 2013, l’UE et la France donc, avaient déclaré le Hezbollah organisation terroriste sans inventer cette distinction qui lui a permis de continuer ses activités politico-financières, il aurait été largement entravé dans son expansion terroriste, aurait localement perdu sa légitimé politique, et l’explosion du mois d’août ne se serait probablement pas produite.
Le Drian refait la même erreur.
L’explosion de demain a pris racine dimanche sur France Inter, lorsque Le Drian a une fois encore abrité le développement des activités financières de l’organisation terroriste au lieu de les dénoncer. Il pouvait désigner le Hezbollah dans sa totalité afin de limiter ses ressources financières, restreindre sa légitimité politique à l’étranger qui a permis son élection démocratique, entraver sa capacité à promouvoir ses activités terroristes. Pour le bien du Liban. Des Libanais. Pour la paix régionale.
La situation actuelle, où la France s’active pour reconstruire le pays déchiré en refusant de désigner le Hezbollah dans son intégralité, donne au Hezbollah une marge de manœuvre immense pour agir librement dès que la France aura tourné les talons. Et cette libre activité est également terroriste.
En refusant de regarder la réalité en face, en refusant une vision à long terme dans l’intérêt du peuple libanais, préférant la protection d’un prestige international éphémère, la France permet au Hezbollah de consolider son pouvoir sur le théâtre libanais et régional. Et ce pouvoir, nous l’avons vu, est explosif et dévastateur parce qu’il est essentiellement assis sur une promesse belliqueuse.
Conclusion
La France veut reconstruire le Liban déchiré par une explosion dont elle ne veut pas dire le nom des coupables, sur des accords avec des terroristes dont elle ne veut pas reconnaître l’existence, avec un Hezbollah dont elle feint d’ignorer les centaines d’autres poudrières, qui demain exploseront comme à Beyrouth.
Macron, Le Drian, la France, l’Europe, ne veulent pas la paix régionale. Ils n’ont pas salué l’événement historique pour la paix, le rapprochement entre les Emirats et Israël. Ils n’ont pas applaudi la normalisation avec le Kosovo, le déplacement de son ambassade – premier pays musulman à le faire – à Jérusalem.
« Je me félicite de l’accord avec le Kosovo, qui sera le premier pays musulman à ouvrir une ambassade à Jérusalem. La Serbie sera le premier pays européen à ouvrir une ambassade à Jérusalem », a déclaré M. Netanyahu samedi soir.
Ces paroles auraient dû sortir de la bouche des principaux dirigeants européens.
Le Hezbollah, c’est l’autre épine dans le pied d’Israël que l’Europe ne souhaite pas retirer. Certes, il commettra d’autres attentats sur le sol européen, mais c’est envisagé par les diplomaties, c’est un dommage collatéral.
50 000 Libanais désespérés, dont je plains humainement le triste sort, ont signé une pétition pour que le Liban soit placé de nouveau sous protectorat français… c’est dire s’ils sont désespérés.
- https://www.ajc.org/news/setting-the-record-straight-on-hezbollah-full-report