Leur nom de guerre : Groypers, par contraction de « Goy » et « griper » (râleur). Ce sont les antisémites américains d’extrême droite et les extrêmes isolationnistes. Ils accusent Trump d’être contrôlé par Israël, par les intérêts « sionistes ».
A la droite de Netanyahu, en Israël, on l’accuse de l’inverse : d’être contrôlé par Trump et de subordonner la souveraineté israélienne aux caprices de Trump et de sa politique « America First ».
Les tensions couvaient depuis un certain temps. Les partisans de la ligne dure israéliens qualifiaient les interventions de Trump de plus en plus souvent d’abus. Ce qui avait commencé par de subtils vetos américains sur les actions d’Israël au printemps 2025 (suspension des frappes contre l’Iran et les Houthis, suivies de critiques publiques plus virulentes et de pressions diplomatiques) a érodé l’image d’autonomie de Netanyahu. En septembre-octobre, ces critiques se sont transformées en accusations directes de la part de ses partenaires les plus nationalistes de la coalition, qui l’ont accusé d’être devenu le « vassal » de Trump lorsque ce dernier a « interdit » l’annexion de la Judée Samarie et « exigé » des excuses de Bibi auprès du Qatar, subordonnant la souveraineté israélienne aux diktats américains.
Le rejet agressif et sans concession par Trump de l’annexion israélienne de la Judée Samarie apparaît comme un point de friction culminant dans l’escalade des tensions.
Une symétrie frappante
Les deux camps utilisent l’image du « vassal » pour dénoncer ce qu’ils perçoivent comme une trahison, et ils nourrissent le narratif de la presse, qui adore les fractures dans l’alliance Trump-Netanyahu.
Chaque groupe fait étrangement écho aux frustrations de l’autre
1 Les Groypers, menés par Tucker Carlson, Nick Fuentes, Marjorie Taylor Green, Michelle Malkin, Alex Jones, ou encore Milo Yiannopoulos et leurs partisans en ligne, s’opposent fondamentalement à la politique étrangère de Donald Trump envers Israël, qu’ils considèrent comme une trahison de leurs principes isolationnistes « America First ». L’équipe de Trump rejette ce mouvement comme marginal. Il a tort. Kevin Roberts, président de la Heritage Foundation, a publiquement défendu et exprimé son soutien sans réserve à Tucker Carlson après l’interview podcast de ce dernier avec Nick Fuentes, le 27 octobre 2025, au point que le président de ZOA a exigé des excuses de Roberts.
2 Je suis frappé d’observer le parallèle entre le discours isolationniste et anti-aide à Israël des Groypers – présenté comme une résistance à la « vassalité étrangère » et à une influence indue – et la réaction interne de la droite israélienne contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu. Leur discours est celui des Groypers dans un miroir. Chaque groupe fait étrangement écho aux frustrations de l’autre.
- Les uns considèrent Trump comme une figure compromise, redevable à des donateurs juifs tels que Miriam Adelson ou à des conseillers prônant des politiques pro-israéliennes
- Les autres se plaignent que Trump « trahit » Israël en donnant la priorité au Qatar.
A regarder de plus près, ces deux discours s’appuient sur des tropes humiliants envers les deux dirigeants :
Contrôle contre subordination :
- Les Groypers s’indignent de la prétendue soumission de Trump (par exemple, « la cession de TikTok à des milliardaires juifs » ou le bombardement de l’Iran).
- Les partisans de la ligne dure israéliens renversent la situation en présentant Netanyahu comme le faible d’une « vassalité Trump-Netanyahu ».
Noyau isolationniste :
- Les deux exigent la « souveraineté d’abord » — l’Amérique pour les Américains, Israël pour les Israéliens — et rejettent les alliances contraignantes comme des liens de dépendance.
Tucker Carlson a amplifié ce croisement dans une diatribe en septembre 2025, qualifiant l’influence de Netanyahu d’« humiliante » pour Trump tout en dénonçant l’aide américaine comme une voie à sens unique.
Netanyahou réagit
Apparemment, je ne suis pas le seul à avoir été frappé par ce jeu de miroirs réfléchissants entre deux groupes que tout oppose, puisque le Premier ministre lui-même s’en est fait l’écho.
Fin octobre 2025, alors que les tensions s’intensifiaient autour de la pression agressive exercée par le président Trump en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza et d’un plan de paix plus large au Moyen-Orient, Netanyahu a publiquement réprimandé les critiques d’extrême droite au sein de sa propre coalition qui le présentaient comme le « vassal » ou la marionnette de Trump.
L’ironie suprême, ou la passivité face à Biden, et la furie face à Trump
1 Les Groypers sont des bidenistes sur Israël. La revendication principale des Groypers — mettre fin à toute aide et implication, et arrêt du soutien militaire des États-Unis à Israël — aboutit au même résultat que les voix les plus anti-israéliennes des administrations Obama et Biden.
Bilan réel de Biden (2021-2025) :
- Retard dans la livraison de munitions à guidage de précision pendant la guerre de Gaza.
- Réprimande publique de Netanyahu : « Bibi, tu es en train de perdre le monde. »
- Autorisation d’abstentions de la résolution 2334 de l’ONU.
- Pression en faveur de la relance de l’accord nucléaire avec l’Iran (JCPOA 2.0).
- Rapports du département d’État accusant Israël de « crimes de guerre ».
Réaction des Groypers ?
Silence radio.
Pas de « guerre des Groypers » contre Biden. Pas de mèmes. Pas d’embuscades lors des séances de questions-réponses aux événements du parti Démocrate.
Sous Trump ?
Une rage explosive : « Trump offre TikTok à des milliardaires juifs ! ». « 300 milliards de dollars à Israël alors que notre frontière est en feu ! ». « Bombarder l’Iran pour Netanyahu, ce n’est PAS l’Amérique d’abord ! »
2 La droite dure israélienne ne crie au « vassal » que lorsque les États-Unis disent « Non ». Ils parlent de dépendance lorsque Trump, le président le plus pro-israélien de l’histoire, bloque ses objectifs, alors que sous Biden (qui avait une hostilité réelle), ils n’avaient aucune réaction. Sous Biden, Smotrich et Ben-Gvir n’ont pas qualifié Netanyahu de « vassal ».
Pourquoi ? Parce que la pression de Biden était attendue et qu’Israël l’a quand même défiée (par exemple, poursuite de l’opération à Rafah malgré les lignes rouges américaines).
Sous Trump (amitié réelle : Transfert de l’ambassade à Jérusalem, Reconnaissance du plateau du Golan, Accords d’Abraham, Aide annuelle de plus de 3,8 milliards de dollars, bombardement de l’Iran, libération en une seule fois des 20 derniers otages vivants), les pressions étaient ressenties comme intenables, bien que là aussi, Netanyahou en a défié.
« Pas de frappe contre l’Iran. » « Pas d’escalade avec les Houthis. » « Pas d’annexion de la Judée Samarie. » « Présentez vos excuses au Qatar. » « Acceptez l’accord sur Gaza. » a déclenché une révolte à la Knesset. « Trump nous traite comme une colonie ! »
L’ironie dans tout ça ?
la seule fois où la droite israélienne se sent « colonisée », c’est lorsque son plus grand allié dit « ça suffit ».
Elle veut un soutien inconditionnel + une liberté totale, autrement dit, une chimère géopolitique. Lorsque Trump donne 90 % et dit non sur 10 %, elle crie à la violation de la souveraineté. Lorsque Biden donne 60 % et retient 40 %, elle râle, mais se plie, car c’est normal.
L’ironie ultime ?
Donald Trump est le seul président capable de faire en sorte que les Groypers et Smotrich/Ben-Gvir se sentent « trahis » en même temps. Pourquoi ? Parce qu’il est le seul à essayer de trouver un équilibre entre l’Amérique d’abord et la sécurité d’Israël, et aucun des deux groupes ne souhaite cet équilibre.
Premier bilan
Les deux camps aboutissent à la même demande politique : ils veulent une réduction des rapports entre les États-Unis et Israël. Les Groypers le veulent parce qu’ils détestent Israël. Les partisans de la ligne dure israéliens parce qu’ils veulent qu’Israël puisse agir sans contrainte. Trump est le seul que les deux camps qualifient de traître. C’est là toute l’ironie de la situation. Et elle n’est pas subtile.
Vous ne criez « vassal » que lorsque Trump dit non
Vous êtes restés discrets lorsque Biden a dit non cent fois plus que Trump. Vous l’accusez de colonialiste lorsqu’il dit OUI 90 fois, et qu’il dit NON 10 fois. C’est de l’indignation sélective. Vous n’avez défendu l’indépendance d’Israël que lorsque votre meilleur ami a fixé une ligne rouge.
Ce n’est pas une défense de vos principes, c’est une demande de privilèges.
Ma conclusion : en exigeant que Trump ne dise jamais non à Israël, c’est vous qui voulez en faire son vassal
Vous et les Groypers criez tous deux à la trahison de Donald Trump, mais depuis des camps opposés.
Ils qualifient Trump de « marionnette sioniste » pour avoir trop donné à Israël.
Vous qualifiez Bibi de « vassal de Trump » parce qu’il n’a pas assez donné à Israël.
Vous exigez tous deux une autonomie absolue pour votre nation et aucune responsabilité envers l’autre. Et vous le traitez tous les deux de traître pour cela.
Vous ne vous battez pas pour votre souveraineté; vous vous battez pour un tribut inconditionnel : alors que vous dénoncez un Bibi qui serait le vassal de Trump, vous voulez en fait que Trump se comporte en vassal d’Israël.
© Jean-Patrick Grumberg pour Israël 24/7.org
