Initialement publié le 18 mai 2022 @ 11h49
« Israël, Sparte ou Athènes ? » est le titre d’un article paru dans le quotidien Combat du 30-31 juillet 1949 signé de Benjamin Goriely*.
Tel-Aviv. On y parle toutes les langues. On y coudoie toutes les races. A cela, rien d’étonnant: depuis la proclamation de l’indépendance de l’État d’Israël, le 14 mai 1948, 300.000 nouveaux immigrants ont débarqué en Palestine. En un an, la population de ce pays a augmenté de 30 %. J’y ai rencontré de magnifiques gars noirs comme de la suie, venus du Sénégal et de l’Éthiopie. J’y ai même vu dans les rangs de la police militaire, un juif malais.
Depuis quelque temps, on croise dans les rues de Tel-Aviv des Juifs de Shanghai, avec leurs femmes chinoises et leurs enfants métis. Le sympathique docteur Olschwanger, un des prétendants au trône d’Israël (il y a même un parti monarchiste ici), qui s’occupe spécialement de l’émigration hindoue, m’a dit qu’il attendait l’arrivée de quelques centaines de Juifs du groupe « Béné-Israël », établis dans les environs de Bombay, depuis le 1er siècle avant Jésus- Christ. Les membres de ce groupe, qui sont actuellement une quinzaine de mille, ne se souvenaient pas, il y a encore un demi-siècle, qu’ils étaient Israélites ; aujourd’hui, attirés par le nouveau mythe en train de se réaliser, ils veulent tous devenir Israéliens.
On rencontre également en Israël beaucoup de demi-Juifs.
40 pour cent de non-européens
M. Baudry, de Strasbourg, que j’ai rencontré à Ein Hanatziv, est un pur Français. Ancien élève des Dominicains, venu travailler dans un kibboutz et converti au judaïsme, il m’a dit simplement : « La réalité, en Israël, dépasse l’imagination. » A l’armée, dans les troupes de volontaires étrangers, connues sous l’abréviation de « Mahal », l’impression d’être dans une tour de Babel est encore plus forte. Aux côtés des Français et des Anglais qui combattaient dans les rangs des Israéliens, deux soldats faisaient sensation, L’un était fils d’une Esquimaude et d’un Juif hollandais établi au Groenland, l’autre était un Peau-Rouge du Texas. « L’Esquimau », ainsi l’appellaiton [sic], était blond avec des yeux bridés, quant à l’Indien, il avait le faciès caractéristique à ceux de sa race.
Ce ne sont cependant pas ces groupes et ces individus plus ou moins exotiques qui constituent l’élément principal de l’immigration. Les 23 centres d’accueil hébergent des juifs d’Europe et des pays arabes, pour la plupart de Marocains et des Yéménites. Il ne m’a malheureusement, pas été possible de connaître les proportions, même approximatives des immigrés selon leurs pays d’origine. Tout ce que l’on sait, c’est que l’élément oriental non européen représente 40 % de l’immigration générale.
« Mauvais Matériel »
Si vous demandez à n’importe quel Israélien ce qu’il pense de l’immigration, il vous répondra invariablement en hébreu qui veut dire « khomer ra » ce qui veut dire « mauvais matériel ». « Ils ne veulent pas travailler, précise-t-on. Il faut reconnaître qu’aussi bien les Nord africains que les « personnes déplacées » des camps d’Allemagne se rebiffent à l’idée d’être pionniers dans le désert du Neguev.
J’ai assisté par hasard à une violente altercation entre une « personne déplacée » et un vieil habitant de Tel-Aviv.
- – Pourquoi voulez-vous venir à Tel-Aviv ? Allez défricher dans le Néguev.
- – Et vous, pourquoi n’y allez-vous pas vous-même ? Vous préférez aussi vivre à Tel-Aviv.
- – Quand je suis arrivé dans le pays, il y a une trentaine d’années, Tel-Aviv ressemblait au Néguev aujourd’hui.
Nombreuses sont les « personnes déplacées » qui disent : « nous avons assez trimé sous Hitler ». Le directeur de Ber Jacob, camp qui groupe 10.000 personnes, hommes, femmes et enfants, m’a raconté un fait qu’il estimait caractéristique. Un immigré venu d’Allemagne se présente dans son bureau pour lui demander un billet d’autobus. «Il doit se rendre d’urgence à Tel-Aviv et il n’a pas d’argent. Les raisons invoquées lui paraissant valables, le directeur promet un billet pour le lendemain. Le même jour, une grande quantité de marchandises, évaluée à plusieurs milliers de livres israéliennes parvient au camp, au nom de l’un des immigrants. Le directeur voulut connaître le riche propriétaire de ces marchandises… c’était la même personne qui lui avait demandé 30 piastres pour l’autobus.
Antagonismes
En attendant qu’elle soit répartie dans le pays, une foule hétérogène loge dans des baraques ou sous des tentes, sur les terrains des anciens camps ou hôpitaux militaires anglais. La multiplicité des langues, des coutumes, des tempéraments, les différences des niveaux de vie et des cultures, tout cela crée des antagonismes entre les groupes ethniques.
Ainsi, lorsqu’il s’agit de faire la queue pour l’eau, les Polonais et les Roumains trichent et se faufilent au premier rang. Ils prétendent que les Marocains sont habitués au climat et qu’ils peuvent attendre sous le soleil brûlant. Eux, les Européens, ne supportent pas d’être exposés trop longtemps au soleil. Les Marocains protestent, se fâchent, jouent souvent du couteau et accusent les « Ahskinazim » (Juifs d’Europe centrale et orientale) de faire du racisme.
Ni le gouvernement, ni la direction de l’Immigration et de l’hébergement ne font de différence entre les groupes ethniques. Les meilleurs logements sont distribués aux premiers arrivants. Ainsi sont-ce très souvent les Nord-africains qui logent dans les plus belles baraques, tandis que les Tchèques, venus les derniers, logent sous des tentes.
De plus, les mariages mixtes sont encouragés et, dans les écoles, les enfants blancs et les enfants chocolat, garçons et fillettes, sont assis ensemble. J’ai rencontré a Jérusalem, un couple, composé d’un mari juif kurde et d’une femme chrétienne hollandaise. L’écrivain yéménite Tabib est marié avec une Polonaise de Lodz. Quand aux enfants, ils ne connaissent entre eux aucune différence et jouent joyeusement tous ensemble. J’ai observé à Khalon – ce village extraordinaire bâti sur les dunes – des enfants jouant sous mes fenêtres « à la prise de Jaffa ». De temps en temps, ils se disputaient et se divisaient alors en deux bandes, selon la couleur de leur peau. Les uns criaient « vivent les blancs ! » et les autres « vivent les noirs ! », ce qui ne les empêchait pas se réconcilier quelques instants plus tard.
« Bon Matériel »
Les Israéliens ne se lassent pas de décerner des éloges aux immigrés yougoslaves et bulgares. Les juifs bulgares sont les seuls qui aient quitté intégralement leur pays pour venir s’installer en Palestine. Ils ont de la patience, cette patience qu’on ne se lasse pas de recommander et qui finit par agacer les nouveaux venus. Les Bulgares sont les seuls de la récente immigration à avoir fondé de nouveaux villages. Leurs localités sont organisées sur le principe du collectivisme, apparenté aux kolkhozes des Russes. C’est-à-dire que la terre est exploitée en commun, chaque famille possédant également sa maison et son lopin de terre. Contrairement à ce qui a lieu dans les kibboutz, les enfants sont élevés par leurs parents et non collectivement et en dehors de la maison.
Un autre groupe ethnique très aimé en Israël est celui des Yéménites. Juifs du Yémen et d’Aden. Eux également ont tous quitté leur pays d’origine. En Israël, ils ont de vieilles connaissances. Découverts en 1907 par Yavne Ei, c’est vers la même époque qu’ils commencèrent à affluer en Palestine.
Ils ont très rapidement atteint le niveau de vie culturel et matériel des juifs européens. Il y a à peine vingt ans qu’on se montrait du doigt les jeunes filles yéménites sorties du lycée. Actuellement, on compte parmi les Yéménites des écrivains et des artistes comme Tabib, des chanteurs comme Brakha Zvira, des chanteuses comme Lia Gentili [transcription sous réserve], des danseuses comme Jarkia Khaïbi [transcription sous réserve].
On remarque à Haïfa et Tel-Aviv ces vieux juifs pieux, à la peau noire et aux longues papillotes leur descendant jusqu’aux épaules, leurs maigres corps pliés sous un lot fardeau, content de gagner leur vie honnêtement. La nouvelle immigration yéménite a été particulièrement bien accueillie et, jusqu’à présent, is n’ont pas déçu la confiance de la population.
© Jean-Patrick Grumberg pour Israël 24 7.org
* Benjamin Goriely, né le 22 août 1898 à Varsovie et mort le 27 juin 1986 à Paris, était écrivain, journaliste et traducteur français du russe vers le français.
Excellent, merci !
Donc déjà en 1949, Israël n’était pas raciste et n’était pas un pays d’appartheid?
On m’aurait menti?
BDS et tous les autres, prenez-en de la graine!