L’industrie américaine des super-héros, qui engrange chaque année des milliards de dollars, commence comme une affaire de jeunes juifs fauchés.
Pour 130 dollars en 1937, Jerome Siegel et Joe Shuster, deux jeunes dessinateurs juifs, fils d’immigrants et créateurs de Superman, abandonnent les droits de leur personnage. L’éditeur, lui, accumulera pour les décennies à venir les fantastiques bénéfices du héros.
Des comic books conçus dans le traumatisme des persécutions
Le dessinateur de comic books, ces journaux illustrés imprimés sur papier ordinaire et conçus dans une ambiance d’arrière-boutique désuète, était un métier peu reconnu et mal payé, qui n’intéressait que des populations pauvres, souvent issues de familles récemment immigrées.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs n’étaient pas aussi persécutés aux États-Unis qu’en Europe. Mais ils étaient encore ostracisés, marginalisés par les industries créatives respectables, qu’il s’agisse d’agences de publicité, de journaux ou de magazines. Il existait une règle non écrite, et parfois verbale selon laquelle « les Juifs ne sont pas invités à postuler » (j’ai personnellement subi cela en France quand j’ai voulu devenir commissaire priseur à une époque où les juifs n’étaient pas souhaités par la profession). Les Juifs ont donc créé, à partir de rien, une sous-culture, l’industrie de la bande dessinée, le plus bas échelon de l’échelle de l’édition.
C’est ce qui explique que, démographiquement, la première génération de créateurs de super-héros américains est majoritairement composée de jeunes Juifs qui, soucieux de s’en sortir, acceptent même les boulots les moins bien rémunérés et socialement peu reluisants.
- Bob Kane et Bill Finger ont créé Batman.
- Joe Simon et Jack Kirby (Jacob Kurtzberg de son vrai nom) sont les cocréateurs de Captain America.
- Will Eisner fut le père du Spirit,
- Stan Lee (de son vrai nom Stanley Martin Lieber) est l’inventeur, entre autres, de SpiderMan,
- Jerome Siegel et Joe Shuster créeront Superman.
- Joseph Kubert, artiste de bande dessinée américain d’origine juive et polonaise, professeur d’art et fondateur de l’école Kubert, est surtout connu pour son travail sur les personnages de DC Comics Sgt. Rock et Hawkman. Il est également connu pour avoir travaillé sur ses créations, telles que Tor, le Fils de Sinbad, le Prince Viking, et, avec le scénariste Robin Moore, la bande dessinée Tales of the Green Béret.
Parce qu’ils sont Juifs, issus de familles européennes, et que les nouvelles de la vieille Europe sont tout sauf rassurantes, de nombreux auteurs de comics conçoivent les super-héros comme un moyen de se venger des persécutions.
« Les Juifs avaient besoin d’un héros capable de les protéger des forces obscures », analyse le dessinateur Will Eisner, créateur de Spirit.
Le super héros incarne le cœur de la culture juive
Pour ces jeunes dessinateurs juifs, leurs origines étaient partout. En fait, les valeurs juives telles que le « tikkun olam » (réparer le monde) sont au cœur de la tradition des super-héros.
Ainsi, dès le début des BD de super-héros, la culture et les valeurs juives ont été intégrées dans certains des personnages les plus fondamentaux du monde des super-héros.
Superman, le plus juif des super-héros
- L’origine de Superman rappelle celle de Moïse. Alors que la planète Krypton est sur le point d’être détruite, un couple place le bébé Kal-El dans un vaisseau pour qu’il échappe à la mort. La fusée traverse l’espace jusqu’à la Terre, où l’enfant est adopté. Les débuts de Superman sont ceux de Moïse, à ceci près que le berceau dérivant sur le Nil a été remplacé par une petite fusée.
- Quant à son nom, Kal-El, il ressemble à « la voix de Dieu » en hébreu.
« Qu’est-ce qui m’a amené à créer Superman au début des années 30 ? » a expliqué Siegel. « J’ai entendu et lu des articles sur l’oppression et le massacre des Juifs sans défense dans l’Allemagne nazie… j’ai vu des films décrivant les horreurs des privations qu’ils ont subies. J’ai eu le grand besoin d’aider les masses opprimées, d’une manière ou d’une autre. Comment les aider alors que je pouvais à peine m’aider moi-même ? Superman était la réponse. »
- Lorsque le pharaon égyptien ordonne que tous les Juifs de sexe masculin soient noyés dans le Nil, Moïse est sauvé en étant placé dans un berceau sur la rive du fleuve. De même, Superman a été sauvé de la destruction de sa planète en étant envoyé sur Terre dans un petit vaisseau spatial en forme de berceau.
- Ses capacités ont également un lien avec le folklore juif : à Prague, au XVIIe siècle, un rabbin aurait fabriqué un golem à partir de l’argile d’une rivière. Le golem possédait une force incroyable et défendait la communauté juive contre les pogroms antisémites de la ville.
- À l’instar des parents de Schuster et de Siegel et d’autres immigrants juifs fuyant les persécutions, puis l’Holocauste, Superman a également fui le chaos et la violence qui ont fini par s’abattre sur son pays.
- Le regret et la nostalgie de Superman pour Krypton reflètent l’expérience vécue par les millions de Juifs qui ont fui leur foyer en Europe.
- Une fois arrivés en Amérique, ces Juifs se sont assimilé aussi vite qu’ils le pouvaient. Beaucoup avaient leur propre identité secrète, comme Kal-El et Clark Kent.
Le père de Jerry Siegel s’appelait à l’origine Mikhel Iankel Segalovich, mais il a choisi d’adopter le nom plus américain de Michael Siegel après son arrivée à New York en 1900. - Enfin, dans une BD, Superman soulève Hitler par le cou et proclame : « J’aimerais poser une claque strictement non-aryenne sur ta mâchoire. »
En fait, l’héritage culturel de Superman était si clair que même Goebbels aurait écrit : « Ce Superman est un juif ! »
J’ai une pensée pour les millions d’antisémites qui admirent Superman et les autres super-héros, sans savoir qu’ils incarnent les juifs qu’ils abhorrent.
© Jean-Patrick Grumberg pour Israël 24 7.org