Un grand geste qui ne changera rien
L’Espagne a décrété un embargo sur les exportations d’armement vers Israël, le présentant comme une prise de position morale audacieuse. Mais les embargos n’ont d’effet que s’ils visent des artères d’approvisionnement critiques. L’Espagne n’en fait pas partie ; au mieux, elle est une voie secondaire.
Ce que l’Espagne vend réellement (et ce qu’elle ne vend pas)
En ôtant la rhétorique, les volumes restent modestes. Les exportations espagnoles vers Israël se composent principalement de :
– Matériel non létal : systèmes de conduite de tir, pièces de véhicules, composants aéronautiques.
– Services de maintenance : réparations ponctuelles et pièces détachées.
– Munitions : par exemple l’accord sur du 9 mm annulé, devenu un argument politique.
Utile, oui ; indispensable, non. Rien n’est irremplaçable, et l’Espagne n’est pas un fournisseur majeur du complexe de défense israélien.
La redondance voulue d’Israël
Israël a construit son industrie de défense pour ce scénario. Trois piliers rendent l’embargo insignifiant :
- Profondeur domestique : IAI, Rafael, Elbit et IMI couvrent missiles, drones, radars, optiques et munitions.
- Soutiens alliés : les États‑Unis fournissent chasseurs et munitions ; l’Allemagne, sous‑marins et navires ; l’Italie, avions d’entraînement. D’autres, comme la Corée du Sud et l’Inde, comblent d’autres lacunes.
- Modularité : les systèmes modernes sont modulaires. Si un composant espagnol disparaît, un équivalent américain, allemand ou israélien le remplace avec peu d’intégration.
Résultat : l’embargo espagnol générera du papier administratif et une gêne limitée, mais aucune capacité opérationnelle ne disparaîtra.
Qui pâtit réellement : l’Espagne
- Perte de revenus et d’emplois : les entreprises de défense vivent de contrats de maintenance et de pièces détachées. Se retirer signifie moins de ventes, des emplois perdus, et des clients étrangers qui se tourneront vers d’autres fournisseurs de peur q’un jour ils se retrouvent dans la même situation.
- Retards capacitaires : les forces espagnoles ont bénéficié de drones israéliens, d’avionique et d’optiques. Rompre les liens réduit l’accès à cette expertise.
- Atteinte réputationnelle : un fournisseur qui politise ses contrats inspire la méfiance. Les acheteurs veulent des partenaires fiables, pas des amis de circonstance.
Le paradoxe des embargos symboliques : conçus pour paraître fermes à l’étranger, ils frappent surtout le pays qui les décide.
D’autres pays européens suivront‑ils ? Risque d’effet domino ? Peut‑être, mais pas là où ça compte.
- Allemagne et Italie : liées par des programmes navals et aérospatiaux valant des milliards. Trop d’intérêts en jeu pour s’auto‑nuire.
- France : acteur mondial du commerce d’armement, elle ne rompra pas aisément les ponts, son économie étant très mal en point.
- Europe centrale et orientale : des pays comme la Pologne et la République tchèque voient Israël comme un partenaire, pas un paria.
Quelques États de circonstances pourraient imiter l’Espagne, mais les poids lourds européens ne saboteront pas leur industrie pour une une.
Brouillard idéologique vs clairvoyance stratégique
Au cœur de la décision espagnole se trouve un état d’esprit antisémite qui voile une grande partie de la gauche occidentale actuelle : la victoire du geste sur la stratégie. On pense au premier acte — la phrase qui déclenche les applaudissements, la une, les points de vertu — et on néglige le second : contrats perdus, industrie affaiblie et érosion de la confiance. En politique, cela peut suffire pour un cycle de nouvelles médiatiques au journal télévisé du soir. En économie de la défense, c’est une blessure auto‑infligée. L’embargo espagnol en est l’exemple parfait : un gouvernement en quête de théâtralité morale pendant que son industrie en paie le prix.
Symbolisme vs réalité
Pour l’Espagne, l’embargo est de la politique. Pour Israël, c’est juste de la logistique. Les entreprises de défense israéliennes se tournent vers d’autres sources, augmentent leur production locale, tandis que les fabricants espagnols se demanderont pourquoi on ne les invite plus aux appels d’offres de pays étrangers.
Conclusion
Les embargos ne comptent que si l’on contrôle des points de passage stratégiques. L’Espagne n’en contrôle pas. La profondeur industrielle d’Israël et ses alliés transforment cet embargo en une gêne mineure. L’Espagne, elle, perd revenus, crédibilité et opportunités.
«Les gestes « moraux » peuvent susciter des applaudissements. Mais en économie de la défense, cause et effet restent valables. Si vous rompez un contrat, ne soyez pas surpris d’être le seul à souffrir de ses conséquences.»
L’auteur, Dr. Avi Perry est ancien professeur à Northwestern University, ancien chercheur et manager chez Bell Labs, puis vice‑président chez NMS Communications. Il a représenté les États‑Unis au comité des normes de l’Union internationale des télécommunications (UIT) de l’ONU, où il a rédigé une part importante de la norme G.168. Il est l’auteur du roman thriller 72 Virgins et d’un ouvrage publié par Cambridge University Press sur la qualité de la voix dans les réseaux sans fil, et chroniqueur régulier pour The Jerusalem Post et Israel National News.
