S’exprimant au sommet du G20 en Afrique du Sud, le Premier ministre égyptien Mostafa Madbouly a déclaré que la récente conférence de paix à Charm el-Cheikh avait conduit à la cessation des hostilités à Gaza et jeté les bases d’un Proche-Orient plus stable et prospère.
Il a annoncé que Le Caire convoquera une conférence internationale destinée à la reconstruction de la bande de Gaza après la guerre.
Une décision qui se heurtera sur les récifs de l’ONU
Voilà une affaire intéressante, et je doute que les médias vous expliquent ce qui ne va pas dans cette décision, et pourquoi elle n’aboutira pas.
1. Le rôle de l’Égypte dans la résolution 2803
La résolution 2803 endosse le « Comprehensive Plan to End the Gaza Conflict » (plan global pour mettre fin au conflit à Gaza, du 29 septembre 2025) et met l’accent sur la démilitarisation, la stabilisation et la reconstruction progressive de Gaza via le Board of Peace (BoP), un organe transitoire présidé par le président Trump.
L’Égypte est mentionnée plusieurs fois comme un acteur essentiel, mais il n’a aucun mandat spécifique pour une conférence de reconstruction, et Israël possède les mêmes prérogatives que l’Egypte – ce dont le ministre s’est bien gardé de mentionner :
- Clause 8 :
Toute réautorisation de la Force de stabilisation internationale (ISF) doit se faire « in full cooperation and coordination with Egypt and Israel » (en pleine coopération et coordination avec l’Égypte et Israël).
- Clause 9 :
L’ISF doit assurer la démilitarisation « en coordination avec (…) Israël » et implicitement avec l’Égypte, en tant que voisine frontalière.
- Clause 15 :
Le BoP est autorisé à coordonner les efforts de reconstruction, y compris via un fonds de confiance géré par la Banque mondiale, mais sans désigner l’Égypte comme hôte d’une conférence dédiée.
En résumé,
- l’Égypte est un partenaire de coordination pour la sécurité et la stabilisation (notamment aux frontières via Rafah), mais la résolution ne lui confie pas la convocation d’une conférence internationale.
- La reconstruction est supervisée par le BoP, avec des appels généraux à un « soutien financier international » (clause 16), sans timeline ni hôte spécifié.
2. L’annonce de Madbouly : une initiative égyptienne autonome
- Madbouly a déclaré que l’Égypte organiserait cette conférence « dès qu’un cessez-le-feu durable est atteint », en invitant les pays du G20 et d’autres partenaires à y participer activement.
- Son initiative s’appuie sur des efforts antérieurs égyptiens : par exemple, une conférence au Caire était déjà prévue pour novembre 2025 (annoncée en octobre par le bureau du président el-Sissi), et des plans égyptiens pour une reconstruction en trois phases (sur 3-5 ans) ont été développés en coordination avec l’Autorité palestinienne et des institutions comme la Banque mondiale.
- Elle vise à mobiliser des fonds pour un « plan arabe-islamique de reconstruction » et à lier la reconstruction à la solution à deux États, en rejetant tout déplacement forcé des Gazaouis.
Cette conférence est donc une proposition égyptienne, alignée sur certains des objectifs de la résolution, mais non mandatée par elle. Elle met l’accent sur un rôle arabe multilatéral, similaire à la proposition saoudo-française caduque, car contrairement à la résolution 2803 qui parle d’un Etat palestinien au conditionnel et avec le veto israélien, elle prévoyait la création de l’Etat palestinien sans aucune condition.
3. Pourquoi cette distinction est essentielle et si importante ?
- La résolution 2803 priorise clairement la sécurité et la démilitarisation (phases 1 et 2 du plan), avec la reconstruction conditionnelle à des certifications par le BoP, l’ISF et Israël.
- La conférence égyptienne veut accélérer la mobilisation de fonds en oubliant les étapes préalables, ce que le BoP ne laissera pas faire.
Passer à la deuxième phase sans terminer la première
Madbouly a demandé « l’application de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU » et le lancement de la deuxième phase « pour remédier aux graves conditions humanitaires dans la bande ».
Le ministre a souligné la nécessité d’un accès sans entrave de l’aide humanitaire à Gaza, du démarrage immédiat des travaux de reconstruction et d’un renouveau des efforts pour résoudre la question arabe sur la base de la solution à deux États.
C’est assez intéressant, car la résolution ne prévoit rien de tout cela qu’après la fin de la première phase – après le désarmement de Gaza.
- La clause 5 stipule :
« La phase 2 (reconstruction et développement économique) ne commencera qu’après la vérification complète de la démilitarisation de Gaza par l’ISF et le Board of Peace ».
- La clause 6 précise :
« Autorise, pendant la phase 1 (cessez-le-feu humanitaire), uniquement des projets humanitaires d’urgence et de déblaiement des débris, sous supervision de l’ISF »
- Clause 9 :
L’ISF a pour mission prioritaire de « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le processus de démilitarisation »
- Annexe I (Plan en 3 phases, intégré à la résolution)
Phase 1 : cessez-le-feu + aide humanitaire limitée + démilitarisationPhase 2 : début de la reconstruction seulement après « certification par le BoP et par Israël que Gaza est démilitarisée »Phase 3 : transfert progressif à une Autorité palestinienne réformée
Et bien entendu, la création d’un Etat palestinien n’est pas décidée, c’est une simple possibilité, et elle demande l’accord d’Israël – rien de nouveau ici d’ailleurs, puisque l’ONU ne peut pas créer d’Etats, quel que soit l’endroit du monde, et l’article 80 de la charte de création de l’ONU interdit de modifier les droits qui ont été donnés à son prédécesseur la Société des Nations, qui a décidé de la réinstallation du peuple juif sur ses terres historiques.
