Israël face à la «guerre poutinienne»

Le coup d’Etat mondial du président russe Vladimir Poutine s’abat comme une plaie, après celle de la pandémie du COVID19 qui a frappé la planète.

Entre la Russie et l’Ukraine, davantage qu’un conflit, il s’agit d’une guerre totale, avec des répercussions mondiales comme nous n’en avions pas connu depuis la Seconde Guerre mondiale.

Notre univers mental et les fortes émotions que les images de guerre totale infligées à l’Ukraine avec ses horreurs, rendent difficile une mise à distance.

Ce besoin archaïque de guerroyer si spécifique aux humains interroge : faire la guerre pour accaparer, détruire, dominer et soumettre, et tuer d’autres humains.

Les autres aspects de cette guerre sont abondement traités par ailleurs au point qu’il nous faut aussi prendre garde à discerner les informations factuelles des éléments de propagande, des «fake news» et des manipulations dont on est assailli par chaque camp.

Malgré ce «tohou», ce chaos, cela n’implique pas qu’on se mette en position de neutralité.

Nous avons l’obligation morale de reconnaître les responsabilités des uns et des autres dans le déclenchement de cette guerre à outrance en nommant le mal et pour rechercher un point de vue équilibré.

La guerre, à la différence du conflit, est un acte d’une extrême violence dont l’objectif vise à contraindre, par tous les moyens à la disposition de l’agresseur, celui qui est désigné comme l’ennemi (et non plus un adversaire) afin de le soumettre à toutes ses volontés politiques. C’est-à-dire : occupation de territoires, confiscation de ses biens et des ressources, destructions massives des infrastructures civiles (y compris sanitaires !) et militaires, asservissement et/ou déplacements forcés de populations jusqu’à ce que désolation s’en suive.

C’est ce qui correspond à la définition des «crimes de guerre» définis par la Cour pénale internationale (CPI) qui inclut, principalement, les cas où l’une des parties en guerre s’en prend volontairement à des objectifs non-militaires, aussi bien humains que matériels, aux civils, aux blessés, aux prisonniers de guerre et aux villes ne comportant pas de troupes ou d’installations militaires.

Au vu et au su de la violence paroxystique que son armée exerce sur ses ordres et ceux de l’oligarchie militaire aux commandes de la Russie, V. Poutine agit comme un criminel de guerre en faisant bombarder les zones civiles, les infrastructures de l’Ukraine en poussant à l’exode les populations civiles où, comme dans toutes les guerres, ce sont les personnes les plus vulnérables – femmes, enfants et personnes âgées – qui en souffrent le plus.

La guerre représente l’un des pires maux que l’humanité s’inflige à elle-même et à d’autres peuples, jusqu’à régresser au plus bas de l’inhumanité.

Mais un dilemme existe cependant quand il s’agit d’exercer son droit de résistance, à l’auto-défense, lorsqu’on est contraint de «faire la guerre à la guerre» qui (nous) est imposée, ou encore de mener une «guerre juste» pour secourir un peuple assiégé par un agresseur sans pitié et pour protéger des populations civiles victimes de crimes massifs. Ce serait alors commettre un acte injuste de ne pas réagir pour éviter un mal encore plus terrible. En Israël nous en savons par expérience quelque chose…

Comme si cela ne suffisait pas, V. Poutine a proféré dès le début de sa guerre une menace qu’on ne peut pas ne pas prendre en considération compte tenu du profil caractériel du personnage : le recourt à l’arme nucléaire et autres menaces contre des pays souverains (Suède et Finlande si ces pays décidaient de rejoindre l’OTAN). Ce qui constitue une violence criminelle d’une brutalité extrême pour s’assurer une hégémonie territoriale impérialiste. C’est l’obsession d’un homme formaté au KGB qui prétend reprendre le contrôle de l’Ukraine qu’il considère être un pays «illégitime», «artificiel» et à qui il dénie «le droit à l’existence».

Le bellicisme de V. Poutine s’est aussi nourri de la passivité, voire de l’aveuglement, de la faiblesse et du double langage des Occidentaux qui ne réalisent que trop tard quelle est sa vraie nature.

La guerre poutinienne et ses conséquences

Élu en 2000 président de la Fédération de Russie, en tant qu’ancien membre du KGB et héritier de cette idéologie, V. Poutine s’est ingénié à tenter de restaurer ce qui fut à ses yeux, avec la chute de l’ex-URSS, «la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle».

Poutine qui disait en 2018 que «la Russie n’a jamais perdu la Guerre froide, parce que la Guerre froide n’est pas finie». Il cherche à montrer qu’il n’a peur de personne et que rien, ou presque, ne peut le stopper.

Le partage du monde post-conflit opéré en 1945-47 à Yalta avait donné lieu à un «Nouvel ordre mondial» aboutissant à cinquante ans de «Guerre froide» jusqu’en 1989 et 1991. A la suite de quoi, de nombreux pays d’Europe orientale libérés du joug soviétique (Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie) ont intégré l’Alliance atlantique militaire.

Empêcher l’extension de l’OTAN et de ses systèmes de défense anti-missiles positionnés aux portes de la Russie, ce qui est vécu comme des provocations militaires et s’imposer comme grande puissance mondiale sont ses objectifs. Il avait prévenu qu’il ne tolérerait pas que les États voisins au sien (qui faisaient partie naguère du «bloc soviétique des pays de l’Est»), n’adhèrent à l’OTAN, malgré la promesse faite, selon lui, par les puissances européennes à l’époque de Mikhaïl Gorbatchev.

Ces revendications russes (neutralisation et démilitarisation de l’Ukraine, etc.) sont des revendications politiques qui auraient dû ou pu trouver une réponse politique. Pour autant qu’elles n’aient pas été entendues, cela ne justifie en rien l’invasion barbare injustifiable de l’Ukraine par la Russie, mais l’explique comme prétexte exploité.

Voilà qui donne sens à l’expression selon que «même les paranos ont des ennemis» (Roland Topor), réels ou fantasmés, et qui ne fonctionnent pas obligatoirement sur le mode d’un délire d’interprétation de la réalité, mais ont plutôt tendance à forcer les éléments de cette réalité comme alibi à leur réaction.

On peut considérer que V. Poutine avait émis plusieurs signaux sur ses intentions, mais personne n’avait accordé beaucoup de crédit à ses revendications qui se sont transformées en menaces à peine voilées. Sauf à faire preuve de manichéisme, la Russie est indéniablement coupable d’avoir déclenché cette guerre, mais le président ukrainien Zelensky et les Occidentaux ont leur responsabilité de n’avoir pas pris au sérieux ces menaces.

C’est ainsi qu’on a souvent tort en ne prenant pas au sérieux les avertissements des dictateurs et autres autocrates, ce qui a pour effet de les défier et de les renforcer dans leur psychorigidité et leur détermination à passer à l’acte.

V. Poutine s’est trompé d’époque en croyant régler par la force guerrière «la question ukrainienne», comme du temps impérial de l’URSS lorsque ses États satellites manifestaient des velléités d’indépendance [Hongrie (1956), Tchécoslovaquie (1968), Pologne (1981), puis en Transnistrie (1999), en Géorgie (2008), en Crimée (2014), au Donbass …]. Autant de répétitions, selon la stratégie du «salami» enseignée par le KGB aux Arabes à l’encontre d’Israël, en attendant le tour de l’Ukraine qui était sur sa liste d’attente en visant à rétablir une «ceinture de sécurité» autour de la Russie.

On entend ici et là que V. Poutine serait un «fou», un «mégalomane», un «paranoïaque» ou encore un «psychopathe» ? Ces qualifications n’ont pas une grande valeur de diagnostic sur sa vraie personnalité et ne servent pas à comprendre son fonctionnement, sa logique, sa dangerosité, sa détermination et donc, dans une certaine mesure, de savoir comment anticiper et «prédire» certaines de ses réactions, et donc de le gérer au mieux. Parce que même un individu présentant telles ou telles particularités psychologiques, voire psychiatriques, a sa propre logique en gardant une foi absolue en sa légitimité, ce qui ne correspond pas forcément à un désordre mental général.

Dostoïevski avait parlé de «deux idéaux luttant dans l’âme russe : la bonté infinie avec le sens du sacrifice pour la patrie, et une cruauté sans bornes dans la guerre».

Les soldats russes d’aujourd’hui envoyés à la guerre contre Ukraine ne sont pas les soldats soviétiques de la «Grande guerre patriotique» contre les nazis. On imagine leur conflit moral d’être contraint de faire la guerre, non pas à des nazis, mais à des frères slaves. Car l’on voit que pour tenter de créditer son expansionnisme, V. Poutine traite de «nazis» les Ukrainiens. V. Poutine a forcément entendu parler de Dmitri ZakharovitchManouïlski, un Ukrainien tchékiste de la pire espèce. Il assurait la fonction de responsable de la propagande sous Staline et il avait donné comme consigne à ses troupes d’accuser les opposants d’être des «fascistes» pour les discréditer. Puis au moment de la «Grande guerre patriotique» de 1941-1945 ainsi nommée par les soviétiques, les opposants politiques étaient traités de «nazis» quand ils n’étaient pas liquidés. Ces habitudes sont restées ancrées chez les héritiers du communisme.

L’autre aspect qui prête le flanc à cette accusation, c’est que l’Ukraine qui a été depuis l’époque tsariste une terre maudite pour les Juifs, étonnamment il y subsiste toujours ce sinistre régiment «Azov» qui exhibe la croix gammée du Troisième Reich et quelques autres résurgences.

Ceci dit, Poutine se montre en compagnie de Dimitri Ouktine, fondateur du groupe de mercenaires Wagner au service du Kremlin avec son tatouage SS.

« Est-ce bon ou mauvais pour les Juifs ? » En quoi Israël est-il concerné par cette guerre ?

Chaque tourment que connaît le monde pousse les Juifs à s’interroger sur des répercussions qui les atteindraient et l’adage talmudique de nous dire : «Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Et si je suis pour moi, qui suis-je ? »

La tradition éthique juive, en général, préconise de ne pas rester indifférent à la misère humaine et d’essayer d’y remédier avec les moyens disponibles.

Même s’il n’y a pas de fatalité à ce qu’Israël soit entraîné dans ce chaos, comment l’Etat juif, les Juifs en général et tout le Moyen-Orient pourraient être affectés par cette guerre ?

Ainsi, Israël est conduit à prendre en considération plusieurs aspects de cette guerre d’une extrême intensité avec ses répercussions planétaires.

Si le maintien de relations privilégiées entre Israël et Washington est une évidence depuis une cinquantaine d’années, la nécessité stratégique d’entretenir de bonnes relations avec Moscou, bien que plus récentes, est une impérieuse nécessité du fait que des forces armées russes sont basées dans la Syrie voisine. C’est une question de sécurité nationale pour Israël.

Le chef de la diplomatie israélienne a d’abord condamné l’invasion russe qui constitue une «grave violation de l’ordre mondial », mais il a dû se raviser et se montrer plus mesuré dans sa condamnation après que Dimitry Polynsky, l’envoyé russe a condamné, selon ses termes, « la capture et l’annexion du Golan qui appartient selon lui à la Syrie » en réaction au soutien d’Israël à l’Ukraine. Ce qui ne manque pas de cynisme au moment où la Russie mène son offensive impérialiste contre l’Ukraine.

Bien qu’Israël doive condamner la violation de la souveraineté ukrainienne (par la Russie), nous devons tenir compte du fait que l’armée russe se trouve à notre frontière nord (en Syrie).

C’est ainsi que depuis 2015, plus de 60.000 soldats russes sont déployés en Syrie, officiellement pour soutenir Bachar Al Assad contre la rébellion et les djihadistes. A Hmeimim, Lattaquié et Tartous, se trouve basée l’armée russe au départ pour combattre l’Organisation de l’Etat islamique (EI) et le Front al-Nosra qui combattent le régime de Bachar al-Assad. Dans les faits, la Syrie est de fait devenue une province russe.

Un accord tacite s’est établi entre Israël et la Russie concernant le contrôle de la présence iranienne et de ses milices en Syrie permettant à Israël d’intervenir, sans toutefois empêcher l’Iran de poursuivre ses objectifs en Syrie…

L’Etat hébreu a beaucoup à perdre dans cette situation, à commencer par sa marge de manœuvre en Syrie, d’où il frappe régulièrement des positions affiliées à l’Iran.

Peu rompue à l’exercice diplomatique en situation de crise, la nouvelle coalition au pouvoir en Israël est contrainte à un exercice de funambulisme en se rangeant finalement derrière Washington, sans trop de tapage, ne serait-ce que pour tenter d’exercer une médiation entre les deux pays en guerre.

Et comme les difficultés viennent en série, en Israël l’on craint que les sanctions américaines contre la Russie ne nuisent aux intérêts sécuritaires d’Israël en Syrie.

A quoi s’ajoute la politique calamiteuse de Joe Biden aux élections américaines le mois prochain qui pourrait voir la politique américaine sur l’Iran évoluer d’une manière qui serait préjudiciable à Israël si l’on garde à l’esprit qu’il a déjà négocié et mis en œuvre précédemment sous Obama le pire accord international ouvrant la voie à l’Iran pour développer une arme nucléaire.

Bien que cette guerre n’en est qu’à ses débuts et menace un ordre mondial qui était déjà instable, on ne peut pas ne pas s’interroger, au vu de l’attitude des nations, sur ce qui se passerait si – qu’à D.ieu ne plaise – Israël se retrouvait en pareille situation que l’Ukraine.

Nous avons déjà des éléments de réponse de l’expérience des guerres précédentes que les ennemis du peuple juif lui ont imposées. Nous savons qu’entre tergiversations, passivités et lâchetés des nations, l’Etat juif doit compter sur lui-même et ses propres forces et que personne ne se battra pour lui.

Ainsi, nous vivons en direct la fin d’un monde. Il y aura assurément un avant et un après cette guerre avec des répercussions profondes : Le destin de l’Europe en sera profondément chamboulé ; La prise de conscience de la création d’une défense européenne dans l’UE devient d’autant plus urgente ; L’Allemagne qui était restée presque «neutre» militairement, saisit l’opportunité de cette guerre pour décider de se réarmer.

Le pacifisme de l’Occident confronté à cette brutale réalité va devoir se remettre en cause.

Il ne suffit pas de souhaiter la paix qui est une noble utopie en faisant abstraction des éléments de la réalité et de la nature humaine dans ce qu’elle comporte de violent, ce qui nous oblige à prendre en compte les exigences du monde réel. Le principe de réalité c’est la nécessité d’avoir à s’extraire de nos illusions pour admettre l’existence d’une réalité souvent cruelle, éloignée de notre idéalisation d’une humanité meilleure, plus humaine.

Vladimir Boukovsky, un russe qui sait de quoi il parle, mettait en garde sur le fait que «le temps des utopies ne dure jamais, elles finissent par établir leur propre goulag».

Le peuple russe qui a su montrer dans l’histoire qu’il est un grand peuple courageux a déjà mis à bas d’autres dictateurs. Il faut (lui) souhaiter que cette fois encore, il a l’intelligence et la force de se soulever pour mettre un terme à cette politique criminelle de ses dirigeants.

Nous savons que des manifestations courageuses se tiennent dans plusieurs villes de Russie, aussitôt réprimées par les forces poutiniennes. Le salut, il faut le souhaiter, viendra de là.

Enfin, seule une médiation qui permet aux belligérants de sortir «la tête haute» de cette guerre en négociant un compromis acceptable pour chaque partie peut mettre fin à ces horreurs.

Car le pire dans le pire, c’est qu’il peut y avoir encore pire.

© Schlomo Goren pour Israël 24/7.org. Diplômé en sociologie, en Sciences de l’Education et en psychologie. A exercé de nombreuses années en France comme Intervenant indépendant dans tous les secteurs (éducatifs, prisons, psychiatrie, etc.) sur les problèmes de violence.

Quitter la version mobile