En quoi l’existence de l’État d’Israël peut-elle causer du tort aux nations ?

Initialement publié le 23 mai 2018 @ 16h47

« Max Nordau était venu trouver Herzl, à propos des conditions d’existence des Arabes en Palestine, et lui aurait dit :

« Mais je ne savais pas qu’il en était ainsi ! Dans ces conditions, nous causons du tort ! »

« C’est certain, nous causons du tort. Mais vivre, c’est toujours causer du tort. Respirer, se nourrir, grandir, toutes les fonctions vitales impliquent qu’on cause du tort. Tout le sens de la vie humaine, c’est d’être placé à chaque instant devant la responsabilité suivante : Je ne veux pas causer plus de tort que je ne le dois pour vivre ». (Citation de Martin Buber, Foyer national juif et politique nationale en Palestine, 1929.)

Comment l’existence de l’État d’Israël peut-elle susciter toujours autant de débats passionnés au sein des nations ? Lors des débats politico-médiatiques à propos de l’État d’Israël, la plupart des commentaires sont peu soucieux de rigueur. Ils sont fondés sur des convictions irrationnelles et subjectives plus souvent que sur une connaissance approfondie de la réalité complexe de l’État d’Israël. Les commentaires d’intellectuels, de journalistes et d’hommes politiques sont ceux qui émanent de gens qui vivent à l’extérieur de l’État d’Israël et à distance de la réalité concrète de la sécurité indispensable d’un pays en guerre. Car enfin, y a-t-il un État au monde qui soit, comme Israël, constamment interpellé du point de vue de la légitimité de son existence ?

Lorsqu’il est question de l’État d’Israël, l’un des critères d’analyse en vigueur qui joue en secret est celui du « mal » selon Hannah Arendt, c’est-à-dire le souvenir de la « catastrophe » qui hante encore les esprits.

Bien qu’Israël soit objectivement, sur la carte du monde, un tout petit pays, l’État d’Israël occupe, en bien des occasions, les gros titres des médias occidentaux. Sur quel autre pays écrit-on autant d’articles et de commentaires enflammés ? Qui est à ce point décrié pour ses implantations, son Shin Beth et ses religieux sectaires ? Quel pays est sans cesse condamné par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale de l’ONU, et les politiciens médiocres de la Communauté européenne ? Quel pays suscite-t-il autant d’enthousiasmes et de haines aussi tenaces ? Dans quel pays menacé en permanence par une guerre de destruction, les « faits » militaires de défense du territoire de l’État d’Israël et les tirs des gardes-frontière suscitent-ils de tels tollés ?

Les commentaires des intellectuels étrangers, des journalistes et des diplomates en poste en Israël sont en général toujours les mêmes. Les journalistes étrangers attendent des Israéliens une conduite morale, intellectuelle et militaire irréprochable, différente de celle que l’on n’attendrait d’un autre pays en guerre.

Lorsqu’il est question de l’État d’Israël, on parle du peuple de la Bible, d’un « lien spécial » avec Dieu, du symbole de l’humanité et de la civilisation. L’État-Juif reste le dernier refuge des Juifs du monde entier, en ces temps d’effondrement des religions occidentales, des idéologies communistes et des dictatures utopistes.

Lorsqu’il s’agit d’Israël, on parle d’une idée de l’humanité éternelle et de l’homme du monde civilisé. C’est pourquoi les Israéliens sont confrontés à ce mythe de l’État-Juif qui, bien que menacé en permanence par la guerre et le terrorisme, devrait traiter les Arabes avec bienveillance et beaucoup de compréhension.

Lorsqu’il s’agit des Israéliens, le jugement moral voudrait que le « bien » touche enfin à la perfection !

Pour beaucoup d’Israéliens, les commentaires d’intellectuels, de journalistes et d’hommes politiques occidentaux, qui vivent à l’extérieur de l’État d’Israël en guerre, sont la mise en accusation du gouvernement israélien par des critiques moralisantes à l’égard de la politique de défense de l’État d’Israël. Une telle attitude moralisante et hypocrite d’intellectuels qui vivent hors du pays en guerre a le don d’exaspérer les Israéliens.

Depuis 1948, la politique militaire de l’État d’Israël doit faire en sorte que le peuple Juif puisse vivre en sécurité, afin que les Juifs persécutés, toujours sur le départ, puissent se fixer sur une terre et s’établir dans le pays. Pour beaucoup d’Israéliens, les critiques moralisantes de « l’État hébreu » sont très choquantes. Car la conquête du pays est inscrite en toutes lettres dans la Bible. La Terre d’Eretz-Israël fait partie de l’identité juive. L’importance mondiale d’Eretz-Israël n’est pas une invention du sionisme. Le sionisme a voulu que l’État d’Israël soit « l’État de tous les Juifs ». « Le titre du livre de Théodore Herzl n’est pas l’État juif mais l’État des Juifs ». Selon la théorie sioniste, il y a deux sortes de Juifs : ceux qui vivent en Israël et ceux qui n’y vivent pas encore. Si l’État d’Israël « appartient de droit » tout autant à un Juif de Paris, de Londres ou de New York qu’à un Juif établi à Jérusalem ou à Tel-Aviv, les Juifs de la diaspora ont le droit absolu de se sentir concernés par la politique sécuritaire de défense militaire de « leur » pays, bien qu’ils n’y habitent pas en permanence.

Beaucoup d’Israéliens sont irrités par le déséquilibre partisan des critiques qui exigent moralement de l’État démocratique d’Israël toujours plus que de la Syrie, de l’Arabie Saoudite ou de l’Iran, des pays non démocratiques. C’est un sentiment de révolte qu’éprouvent les Israéliens et les Juifs du monde entier, face aux caricatures de journaux qui ne se contentent pas de condamner l’État d’Israël, mais qui accompagnent cette condamnation de positions favorables à ses ennemis mortels. En Israël, on supporte mal l’hypocrisie des politiciens occidentaux qui condamnent Israël, alors qu’ils font toujours la pire des politiques politiciennes.

On est conscient en Israël que les pays qui font des sermons indignés et qui publient des déclarations où ils « déplorent », « regrettent » ou « condamnent » la politique de sécurité de l’État d’Israël, sont les mêmes qui vendent des armes en très grande quantité, soutiennent des régimes autoritaires, cautionnent des massacres ou qui interviennent militairement dans divers continents, comme en Afrique, pour défendre leurs intérêts.

L’accumulation des résolutions condamnant Israël, et celle des intellectuels juifs de la diaspora qui s’effraient de chaque manquement de la politique de défense de l’État juif vis-à-vis de la morale des Droits de l’Homme et de l’humanisme du journalisme pro-arabe, conduit à l’attitude courante chez les Israéliens que résume la phrase hébraïque : Haolam Koulo Negdenon, « le monde entier est (de toute façon) contre nous » !

Par conséquent, quoi que nous fassions, nous serons condamnés. Donc, faisons ce qui semble juste.

Gerchom Scholem ironisait sur ces belles âmes « qui n’ont pas choisi la voie de la responsabilité pour l’avenir physique du peuple juif ». Le grand intellectuel parlait de « l’avantage » de ces moralistes qui critiquent « du dehors ». Scholem évoquait la volonté des intellectuels juifs de gauche de « changer le monde », et leur rappelait qu’ils avaient toujours été évincés et massacrés par leurs camarades de révolution !
À Hannah Arendt, qui avait fustigé le sionisme et Israël, Scholem avait écrit : « Il y a dans la tradition juive un concept que nous appelons Ahavat Israël, l’amour du peuple juif. Chez vous, chère Hannah, comme chez d’autres intellectuels qui sont venus de la gauche allemande, j’ai trouvé bien peu de tout cela… »

(extrait de la Revue « Autrement », série « Monde », H.S. n°70, septembre 1993)

(Veux-t-on) « Comprendre ou juger Israël » ?

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