Ce que signifie pour Israël un retour vers l’Accord sur le nucléaire avec L’Iran

Traduction par Magali Marc de l’article de Yossi Kuperwasser **, paru sur le site du Jewish News Syndicate (obtenu via Honest Reporting), le 22 mars. (Cet article a été publié pour la première fois par le Jerusalem Center for Public Affairs.)

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Les implications pour Israël d’un retour au dangereux accord sur l’Iran


Si, par le passé, le lien entre les intérêts israéliens et américains était un élément essentiel de la coopération entre les deux pays – au-delà de leurs valeurs communes -, sous l’Administration Biden, la communauté d’intérêts devient de plus en plus ténue.
Selon le rapport du 4 mars de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) (*1), l’Iran a déjà accumulé :

L’Iran exploite déjà industriellement des centrifugeuses avancées de plusieurs types (IR-2m, IR-4, IR-6), et par conséquent, s’il décide d’enrichir cet uranium à un niveau militaire (plus de 90 %), il ne faudra qu’environ trois semaines pour produire 25 kg, c’est-à-dire suffisamment d’uranium pour le premier dispositif explosif nucléaire (y compris le temps nécessaire aux changements de configuration du système de centrifugation).

Ensuite, il faudra deux semaines supplémentaires pour produire la quantité requise pour un deuxième dispositif explosif nucléaire. En quatre mois, l’Iran pourrait disposer d’une quantité suffisante d’uranium enrichi à un niveau militaire pour quatre dispositifs explosifs nucléaires.

L’année dernière, l’Iran a déjà converti de l’uranium enrichi à 20 % en uranium métal (un composant des armes nucléaires). Il développe également son système de missiles afin de réduire le temps nécessaire pour transformer l’uranium enrichi à un niveau militaire en une arme nucléaire viable.

Bien que l’Iran ait promis, lors de la visite du directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, de fournir à l’AIEA des informations sur les quatre installations exposées lors qu’Israël a révélé les archives nucléaires de l’Iran, il n’est disposé à le faire qu’après la conclusion de l’accord et avant l’entrée en vigueur des restrictions qui lui sont imposées.

Implicitement, en mai, M. Grossi a déjà exprimé son mécontentement face à la coopération insuffisante de l’Iran.

Étant donné que les inspecteurs de l’AIEA ne peuvent pas se rendre “n’importe où, n’importe quand”, il est impossible d’être sûr que l’Iran ne dispose pas d’installations secrètes supplémentaires établies après 2003, tout comme celle de Fordow. Ces installations pourraient être utilisées pour stocker et traiter l’uranium manquant et les systèmes qui ont été utilisés pour l’enrichir.

Cette récente activité iranienne, qui constitue une violation à la fois de l’Accord sur le nucléaire de 2015 et des engagements de l’Iran envers le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et son protocole additionnel, fait suite à la décision du président Donald Trump, en mai 2018, de quitter l’Accord. Toutefois, la grande majorité des violations ont été commises après l’élection de Joe Biden à la présidence et après l’entrée en fonction de son Administration.

Ces violations visaient à exploiter l’anxiété de l’Administration Biden face à l’éventualité d’une confrontation avec l’Iran et à accroître la pression pour qu’elle accepte de revenir à l’Accord sur le nucléaire aux conditions iraniennes, principalement la levée complète des sanctions américaines imposées à l’Iran depuis 2015, qu’elles soient liées ou non à la question nucléaire.

Le régime iranien a pris un certain risque en adoptant cette politique, car il aurait pu accepter de revenir à l’Accord dans le cadre américain, c’est-à-dire sans la levée de toutes les sanctions, ce qui aurait permis d’atténuer sa détresse économique. L’Iran a toutefois estimé que, face à une administration américaine faible et hostile au risque, il pourrait insister sur ses exigences tout en poursuivant ses progrès constants vers l’obtention du statut d’État à seuil nucléaire, et ainsi forcer la disparition des exigences américaines. Entre-temps, le régime serait en mesure de relever les défis croissants sur le plan intérieur.

Le retrait désorganisé des Américains d’Afghanistan et la réponse prudente des Américains au renforcement et à l’attaque de la Russie contre l’Ukraine ont convaincu les dirigeants de Téhéran, surtout après l’élection du partisan de la ligne dure Ebrahim Raisi à la présidence, que leur politique était justifiée et les ont encouragés à rester sur leur position.

Les États-Unis auraient pu faire pression sur l’Iran afin qu’il renonce aux dangereuses avancées vers la production d’armes nucléaires et exiger un bien meilleur accord en combinant des sanctions (comme ils le font avec la Russie) et une menace crédible de recours à la force. Toutefois, dans la pratique, des rapports récents indiquent que les États-Unis ont cédé aux exigences iraniennes en matière de sanctions.

L’implication pratique est que le dangereux Corps des Gardiens de la Révolution Islamique ne sera plus désigné comme une organisation terroriste et que les sanctions seront levées à l’encontre des individus iraniens impliqués dans certaines des pires attaques contre les États-Unis, les Juifs et Israël.

Il reste à voir comment la séquence du retour des parties à l’accord sera précisée, bien qu’il semble que cette question ait déjà été résolue.

De manière inquiétante, un retour apparent à l’Accord sur le nucléaire est dangereux en soi, même sans la levée de sanctions supplémentaires.

En échange de la renonciation par l’Iran à la majeure partie de son uranium enrichi, ce qui l’éloignerait légèrement du statut d’État au seuil, il pourrait continuer à faire progresser son programme nucléaire sans craindre de mesures punitives.

D’ici deux ans, il sera en mesure de reprendre l’exploitation de centrifugeuses avancées. Deux ans plus tard, il sera en mesure d’augmenter sans limite la quantité d’uranium enrichi qu’il accumule, et dans neuf ans, il pourra enrichir l’uranium à n’importe quel niveau et en n’importe quelle quantité, atteignant ainsi la capacité de produire une grande quantité d’armes nucléaires.

Ce scénario d’accumulation nucléaire contraste avec la situation actuelle dans laquelle l’Iran doit encore franchir un seuil dangereux, où il pourrait être la cible d’une attaque américaine ou israélienne s’il tente d’avancer vers la production d’une à quatre armes nucléaires. En outre, une fois qu’il aura réintégré le JCPOA, il aura accès à ses avoirs gelés (environ 100 milliards de dollars) et à des revenus accrus provenant des exportations de pétrole.

Ces sommes considérables peuvent fortifier le régime qui a récemment été confronté à des troubles permanents, accroître son activité d’exportation de la révolution islamique dans la région et au-delà et renforcer ses mandataires malveillants comme les Houthis et les organisations terroristes opérant contre Israël, telles que le Hezbollah, le Jihad islamique palestinien et le Hamas.

Les Houthis ont déjà été enhardis par l’accord à venir et ont intensifié leurs attaques contre les installations saoudiennes ces derniers jours.

L’Iran pourra également présenter le retour à l’accord à ses conditions comme un succès qui prouve la justesse de sa voie et la faiblesse de l’Occident. Ce message est destiné à inciter des alliés potentiels à suivre la voie de la révolution islamique.

Les Américains reconnaissent qu’il ne s’agit pas d’un retour au dangereux accord nucléaire JCPOA initial, mais plutôt d’un accord pire, car il est impossible pour l’Iran de revenir en arrière par rapport aux progrès qu’il a déjà réalisés – en violation de l’accord – dans le développement et le fonctionnement de centrifugeuses avancées, la production d’uranium hautement enrichi, le développement du système de missiles et la production d’uranium métal.

Il est également clair maintenant que les illusions entretenues par l’équipe de l’Administration Obama chargée des pourparlers sur le nucléaire, dont les membres participent également à la direction de l’équipe actuelle, n’étaient pas fondées. L’Iran ne renoncera pas à son soutien au terrorisme et à son idéologie radicale. L’accord ne le mettra pas à moins d’un an de la production d’une quantité suffisante de matière fissile pour le premier dispositif explosif nucléaire, puisque même sans s’élancer à fond de train, l’Iran s’est approché de ce point en un peu plus d’un an.

Les implications de l’approche de l’Iran pour devenir un État à seuil nucléaire

Quelles sont les implications pour Israël de la progression de l’Iran vers le statut d’État à seuil nucléaire et de la capitulation américaine ? Tout d’abord, il est apparu clairement que l’allié le plus important d’Israël et son principal soutien souffre d’une faiblesse qui se répercute également sur l’État juif.

Dans ce contexte, Israël ne peut avant tout compter que sur lui-même.

Les États-Unis sont très prudents et réticents à s’engager dans un conflit. Bien qu’ils puissent façonner une réalité différente, ils préfèrent éviter d’utiliser leurs capacités et permettent à leurs adversaires de faire avancer leurs intérêts à leurs dépens.

Pire encore, si, par le passé, le lien entre les intérêts israéliens et américains était un élément essentiel de la coopération entre les deux pays – au-delà de leurs valeurs communes -, sous l’Administration Biden, la communauté d’intérêts devient de plus en plus ténue. Les Américains se concentrent sur les conflits avec la Russie et la Chine, dans lesquels Israël est moins attaché à la position américaine, et les États-Unis réduisent leur implication au Moyen-Orient.

La consolidation de la position de l’Iran ne constitue pas une menace suffisamment importante pour que l’Administration Biden se mobilise pour la contrecarrer. Même si les dirigeants américains déclarent leur engagement à empêcher l’Iran d’acquérir des armes nucléaires, et qu’ils sont convaincus qu’un retour à l’accord contribuera à cet objectif, dans la pratique, le pacte ouvre à l’Iran un chemin sûr pour devenir une puissance nucléaire.

Les choix d’Israël

Aussi longtemps que possible, Israël devrait essayer d’empêcher le retour à l’accord en faisant vigoureusement appel aux responsables américains des deux côtés de l’échiquier politique qui reconnaissent la gravité de la démarche actuelle. Le Congrès pourrait disposer des outils nécessaires pour rendre plus difficile la réalisation des intentions de l’Administration Biden.

On peut également espérer que les Iraniens n’accepteront pas les termes de la capitulation américaine et exigeront encore plus, ou que les exigences que la Russie a soulevées (ne pas appliquer les sanctions anti-russes dans le cadre de ses relations économiques avec l’Iran) retarderont la conclusion d’un accord.

Si l’accord entre effectivement en vigueur, Israël devra organiser une campagne secrète pour contrecarrer le programme nucléaire iranien, car, malgré la déclaration d’Israël selon laquelle il n’est pas lié par l’accord, une action ouverte dans un premier temps est moins nécessaire et encore moins acceptable, étant donné l’engagement américain à son égard.

Dans l’immédiat, l’Iran va s’éloigner légèrement du seuil nucléaire. Israël doit utiliser ce temps supplémentaire pour développer la capacité de contrecarrer le programme nucléaire par un recours à la force, si et quand cela est nécessaire, et pour faire face aux conséquences complexes d’une telle action. L’impossibilité de parvenir à un accord maintenant, un scénario qui a encore peu de chances de se concrétiser, pourrait nécessiter une telle action dans un court laps de temps.

En même temps, Israël doit continuer à resserrer ses liens avec les États arabes pragmatiques, qui sont profondément troublés par la consolidation des forces de l’Iran et l’apparente faiblesse des États-Unis. Dans ces circonstances, les États modérés pourraient chercher à compenser la faiblesse américaine en se rapprochant d’Israël ou, au contraire, de l’Iran et de ses protégés, comme le président syrien Bachar Assad. En outre, il est probable que certains de ces États tenteront d’accroître leur capacité à se doter eux-mêmes d’armes nucléaires.

© Traduction et adaptation, Magali Marc pour Israël 24/7.org

Notes

* 1) https://isis-online.org/uploads/isis-reports/documents/Analysis_of_March_2022_IAEA_Iran_Verification_Report_Final.pdf
** Le Général de brigade (réserviste) Yossi Kuperwasser est directeur du projet sur les développements régionaux au Moyen-Orient au Jerusalem Center for Public Affairs. Il a été directeur général du ministère israélien des Affaires stratégiques et chef de la division de la recherche des services de renseignement militaire des FDI.

Source: https://www.jns.org/opinion/the-implications-for-israel-of-a-return-to-the-dangerous-iran-deal/

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