Au Café de Bagh, juifs et musulmans partagent arak et sabich loin de la politique de l’Irak et d’Israël.
En vertu d’une loi récente, est puni de la peine de mort tout citoyen irakien qui a quoi que ce soit à voir avec Israël ou les Israéliens. Mais à Berlin, cette loi irakienne ressemble à une parodie.
Au Café De Bagh, des Juifs israéliens d’Irak et des musulmans irakiens dansent ensemble sur la musique de Dudu Tasa, petit-fils des compositeurs classiques irakiens Saleh et Daoud Al-Kuwaity.
Ils boivent de l’arak, une liqueur anisée arabe, et mangent du sabich, le sandwich israélien à base d’ingrédients irakiens pour le petit-déjeuner, qui fait l’objet d’un véritable culte à Berlin. L’activiste et écrivain Yossi Lampal a compilé une anthologie intitulée L’influence du sabich sur la culture allemande, qui a été lancée au Café De Bagh.
Le café accueille également des micros ouverts et des événements culturels, comme le collectif multilingue Poetic Hafla, qui réunit des artistes israéliens, arabes et internationaux.
Le Café De Bagh appartient à Baghdadi Dury De Bagh, un musulman irakien devenu berlinois.
Quatre-vingt-quinze pour cent des Juifs irakiens ont quitté le pays en 1950-51 pour Israël. Beaucoup de gens ont des souvenirs des Juifs de Bagdad. En face de la fenêtre du café, face à la rue, est assis un politicien irakien retraité du parti communiste, avec un blazer sombre et des cheveux blancs. Il a des souvenirs chaleureux de ses voisins juifs.
« Je me souviens qu’à l’occasion de votre fête où l’on ne doit pas manger de farine, ma famille leur préparait des mets sucrés pour célébrer la fin de la fête », dit-il, faisant référence à la tradition de la Mimouna, que les juifs irakiens célèbrent immédiatement après Pessah.
Un client, juif israélien d’origine irakienne, lui parle de la famille musulmane de Bagdad qui a sauvé sa grand-mère des émeutiers irakiens pendant le Farhud de 1941, et comment sa grand-mère a parlé toute sa vie de la maison qu’elle a quittée sans avoir la possibilité de revenir ou même de la vendre.
Il se rapproche un peu plus.
« Vous savez que mon père a refusé d’acheter l’une des maisons qui appartenaient aux Juifs, bien qu’elle lui ait été proposée à bas prix. Il pensait qu’il n’avait pas le droit de le faire. »
Le Café de Bagh est bien loin des tensions entre l’Irak et Israël qui existent au niveau politique.
Ici, l’héritage irakien est partagé par les Juifs et les Arabes. Ici aussi, Juifs et Arabes ont parfois un ennemi commun. Le café se trouve à Neukölln, non loin de la Sonnenallee, la rue qui est le centre de la culture et de la nourriture arabes à Berlin.
De Bagh avait auparavant un bar dans le quartier d’Alt-Tegel. Pourquoi a-t-il déménagé ?
« Les néo-nazis ont fait une manifestation et ont fait un salut « Heil Hitler » devant chez moi. Je vous le jure. »
Mais les néo-nazis allemands n’attaquent jamais les juifs. Les arabes en revanche, c’est monnaie courante.
En janvier 2016, Baghdadi Dury De Bagh a décidé d’ouvrir le Café De Bagh pour réunir les artistes qu’il avait découvert au fil des ans.
Le café célèbre l’histoire partagée par les Irakiens de toutes les religions. Enfin… pas toute l’histoire.
Aucune mention du pogrom de Bagdad en 1828, ni des massacres de Farhud, les pogroms perpétrés contre la population juive de Bagdad en 1934, 1938 et 1941.
Au lieu de cela, sur le mur du café, se trouve une grande peinture d’un établissement d’enseignement de Baghdadi, l’école Al Mustansiriya. Cette école a été créée en 1227, lorsque l’Iraq s’appelait encore Babylone. À cette époque, les Juifs faisaient partie du pays depuis 600 ans.
« Je pense à Berlin comme à une ville moderne de Babylone », explique De Bagh. « En tant que réfugiés de Bagdad, d’Israël, de Syrie ou d’Ukraine, nous avons trouvé une nouvelle Babylone où les cultures se rencontrent ».
© Jean-Patrick Grumberg pour Israël 24 7.org
Source : https://shafaq.com