L’histoire de l’État d’Israël est truffée de récits passionnants d’espionnage. Vous en trouverez plusieurs sur Netflix. Les plus passionnants sont sans doute ceux qui impliquent des nazis.
Gavriel Weissman est arrivé en Israël en 1949 après un voyage épuisant qui comprenait un périple de l’Allemagne à Marseille, un voyage illégal vers la Palestine mandataire, une période de détention à Chypre qui a duré plus d’un an, ainsi que l’enrôlement dans l’organisation militaire clandestine, la Haganah.
Naturellement, lorsqu’il arrive enfin dans le nouvel État, le jeune Weissman s’engage dans les Forces de défense israéliennes récemment créées et suit rapidement un cours de commandant d’escouade. Il a ensuite suivi un cours d’officier, atteignant le grade de sous-lieutenant, avant d’être transféré dans le corps d’artillerie.
C’est en 1952 que la carrière militaire prometteuse de Weissman prend fin brutalement.
Une information anonyme révèle qu’en état d’ébriété, Weissman a montré à ses amis une photo de lui portant un uniforme SS et leur a dit qu’il vivait sous une fausse identité.
Son vrai nom ? Ulrich Schnaft, un nazi qui avait servi avec les SS sur les fronts russe et italien pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ulrich Schnaft (né en 1923 à Königsberg) était un homme de la Waffen-SS allemande et un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, qui a immigré en Israël en 1949 en se faisant passer pour un Juif, a servi dans l’armée israélienne et a ensuite été condamné pour espionnage au profit de l’Égypte.
Schnaft a été blessé en Russie alors qu’il combattait avec la SS-Pz.Div Wiking et a été capturé par l’armée américaine en Italie alors qu’il était dans la 16e SS-PzGren.Div.
Après la guerre, il a appris du colocataire juif avec lequel il partageait un appartement, que des Juifs recevaient une aide financière et de la nourriture – des produits très demandés dans l’Allemagne d’après-guerre – par l’intermédiaire d’organisations caritatives américaines. Schnaft décide alors de se faire passer pour un réfugié et de se rendre en Israël pour échapper à la pauvreté, avec l’intention de poursuivre sa route vers une autre destination peu de temps après.
Il part en Israël en 1948 et intègre le corps d’artillerie de Tsahal
En 1947, Schnaft embarque à Marseille, en France, sur un bateau d’immigrants clandestins juifs à destination de ce qui sera bientôt Israël, mais qui est encore gouverné par le Royaume-Uni et soumis à son interdiction d’immigration.
Le navire est intercepté par la marine britannique et ses passagers sont emprisonnés dans un camp d’internement à Chypre. Schnaft participe à plusieurs tentatives d’évasion organisées par des codétenus liés à la Haganah, le groupe paramilitaire juif qui a servi de noyau aux Forces de défense israéliennes.
En 2019, Itai Sticklaro a publié un livre « Faites-moi confiance, je mens » consacré au « seul nazi devenu officier de l’armée israélienne ».
Israël déclassifie le dossier du nazi qui s’est enrôlé dans les forces de défense israéliennes et a espionné pour le compte de l’Égypte
La capture d’Ulrich Schnaft souligne les défis et la vigilance d’un organe de contre-espionnage qui contrôle d’innombrables immigrants sans papiers tout en menant une guerre sur quatre fronts, explique le Times Of Israel dans l’article qu’il a consacré à la déclassification du dossier du nazi.
« Même selon les normes du monde de l’espionnage de la guerre froide, Ulrich Schnaft avait un talent rare pour l’infiltration, affirme le ToI. Ancien nazi et combattant de la Waffen-SS, Schnaft s’est fait passer en 1947 pour un réfugié juif et a tenté d’immigrer dans l’Israël d’avant l’Etat, se retrouvant dans un camp d’internement britannique pour immigrés clandestins. Après y avoir acquis des références sionistes et étudié l’hébreu, il s’est engagé dans l’armée israélienne pour devenir officier, avant de devenir un espion au service de l’Égypte.
Des décennies plus tard, on ne sait toujours pas à quel point cette taupe avait réussi à s’enfoncer : le dossier le concernant, que l’appareil israélien de contre-espionnage n’a déclassifié que récemment, contient des parties expurgées qui suggèrent que ses actions d’il y a 65 ans sont toujours considérées comme sensibles aujourd’hui.
L’un de ces éléments expurgés est l’un des quatre alias au moins répertoriés comme appartenant à Schnaft – dont le principal alias en Israël était Gabriel Zusman – dans le dossier que le Shin Bet a récemment déclassifié, selon Haaretz.
Le dossier dresse le portrait d’un homme opportuniste, audacieux et parfois téméraire, ayant le don de s’adapter à des sociétés idéologiquement dirigées et de les utiliser pour ses propres objectifs et sa survie. Il montre également la vigilance et les défis du contre-espionnage israélien dans les premières années de l’État, lorsqu’il accueillait et enrôlait dans ses guerres des milliers de sans-papiers venus de toute l’Europe déchirée par la guerre.
Schnaft a vécu en Israël pendant six ans, jusqu’en 1954
La suite de l’histoire n’est pas moins fascinante que l’incroyable supercherie de Weissman-Schnaft.
Schnaft a vécu à Kiryat Anavim, près de Jérusalem, et est devenu membre et militant du parti socialiste Mapai, le parti du Premier ministre David Ben Gourion.
Déçu d’avoir été renvoyé de Tsahal, Weissman-Schnaft est resté en Israël et a effectué des petits boulots occasionnels tout en louant une chambre dans la maison d’un couple d’immigrants juifs originaires d’Allemagne. Pendant son séjour, il a entamé une liaison avec sa logeuse, et tous deux ont envisagé de quitter le mari trahi et de retourner ensemble en Allemagne.
Au grand regret de Schnaft, à l’époque, Israël n’autorisait pas les détenteurs de passeports israéliens à se rendre en Allemagne. Ces difficultés ont conduit Schnaft à proposer ses services aux services de renseignement égyptiens. Il a été envoyé par avion au Caire, où il a fourni de nombreuses informations sur les FDI et leurs unités.
La capture
L’histoire de la capture de Schnaft par les services de sécurité israéliens est digne d’une série Netflix, disais-je plus haut.
Les détails des événements n’ont été révélés au public que plusieurs années après leur survenue.
Selon les médias israéliens de l’époque, Schnaft a été envoyé une nouvelle fois en Israël par ses responsables arabes afin de recueillir des renseignements et a été arrêté à son arrivée.
Mais la véritable histoire est encore plus incroyable.
Le contre-espionnage israélien a repéré Schnaft pour la première fois en 1952, lorsqu’il a commencé à soupçonner qu’il n’était pas juif.
En 1955, le Mossad repère Schnaft, qui travaille comme pharmacien à Francfort, et lance une opération visant à l’attirer en Israël. Une agent se faisant passer pour une journaliste le séduit et lui propose de le présenter à des agents de renseignement arabes qui seraient intéressés par les informations qu’il détient sur Israël.
Selon une autre version de l’histoire, le Mossad a envoyé un agent en Allemagne qui s’est fait passer pour un officier irakien et, lorsqu’il a rencontré Schnaft, a déclaré avoir servi dans la Waffen-SS, a persuadé Schnaft de retourner en Israël et d' »espionner pour l’Irak ».
Sous le nouveau nom de David Weissberg, Schnaft est sorti de l’aéroport, a été immédiatement attrapé par le Mossad et embarqué dans une voiture. Pendant le voyage, l’espion a tout avoué.
Quelle que soit la vraie version, les agents du Mossad ont donc localisé Schnaft en Allemagne (grâce, entre autres, à une lettre envoyée par le mari trahi, qui a révélé son histoire).
Ils ont trompé Schnaft pour qu’il retourne en Israël, en lui faisant croire qu’il allait espionner pour l’Irak.
À son arrivée à l’aéroport de Lod, il est immédiatement arrêté et bientôt traduit en justice et condamné à sept ans de prison.
Après sa libération conditionnelle, Schnaft a été expulsé d’Israël et est retourné en Allemagne. On n’a plus aucune trace de lui depuis lors. On ne sait pas s’il est encore en vie. Son compagnon de cellule a écrit dans ses mémoires que Schnaft est retourné en Allemagne, qu’il est devenu pasteur luthérien et qu’il soutient désormais Israël.
Si vous avez des informations sur le lieu où il se trouve, n’hésitez pas à nous les communiquer dans les commentaires ci-dessous.
Ajout non vérifié
Après la publication dans Haaretz, un lecteur, Asaf Yanai, a livré une information non vérifiée qui ne figure pas dans le dossier déclassifié.
Schnaft aurait tué à lui seul six infiltrés venus d’Égypte alors qu’il patrouillait avec le père de Yanai près d’Ashkelon, écrit-il.
Yanai affirme que son père s’est figé alors que les infiltrés cherchaient à s’abriter dans une structure abandonnée où les deux soldats israéliens s’étaient arrêtés pour se reposer. Schnaft s’est précipité du dernier étage au rez-de-chaussée, tuant rapidement les infiltrés et sauvant probablement la vie de son père, a-t-il écrit.
L’histoire complète, avec tous les détails incroyables, peut être consultée dans le livre « The Spies : Israel’s Counter-Espionage Wars« (HaMeraglim) de Yossi Melman et Eitan Haber (hébreu).
© Jean-Patrick Grumberg pour Israël 24 7.org
Sources :
- https://www.forum-der-wehrmacht.de/index.php?thread/74624-ulrich-schnaft/
- https://blog.nli.org.il/en/hoi-schnaft/
- https://www.timesofisrael.com/israel-declassifies-file-on-nazi-who-enlisted-in-the-idf-and-spied-for-egypt/
- https://www.israellycool.com/2021/04/12/ulrich-schnaft-the-man-with-multiple-identities/
Merci pour cette histoire incroyable, rak béIsraël !