Réforme judiciaire : le chat qui se mord la queue ?

Simcha Rothman, lors d'une commission de la Knesset

1 La procureure générale d’Israël, Gali Baharav-Miara, également conseillère du gouvernement, a demandé dimanche à la Cour suprême d’annuler l’amendement limitant sa capacité à annuler des lois sur la base de ce que les juges qui la composent considèrent comme « irraisonnable », exacerbant les vives tensions existantes avec le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahou.

Dans sa requête, Baharav-Miara a déclaré qu’« en raison de l’impact sévère de l’amendement sur le public et des conséquences graves pour la séparation des pouvoirs, l’État de droit et les droits individuels », elle n’avait pas d’autre choix que de soutenir la nullité de la législation votée en août par la Knesset à la majorité.

L’audience de la Haute cour est prévue à 10 heures le 12 septembre. Ce sera la première fois en 75 ans d’histoire de la Cour que les 15 juges siégeront tous ensemble dans une affaire. Ce sera aussi la première fois que la Haute cour envisage d’annuler une loi fondamentale, équivalent de la Constitution, en violation de la séparation des pouvoirs.

2 Ce lundi 4 septembre, le député Rothman a demandé à ce qu’Ester Hayut soit disqualifiée pour discuter de l’annulation de la clause de déraisonnabilité. Le président de la commission constitutionnelle, le député Simcha Rothman, a présenté aujourd’hui lundi une demande de disqualification de la présidente de la Cour suprême, Ester Hayut, en raison de ses prises de position hostiles à la réforme judiciaire, et qui font planer un doute sur son impartialité, sur un sujet aussi sensible, et dont l’issue ne dépend pas de l’interprétation de la loi, mais de l’opinion des juges.

« Il y a une crainte de partialité et d’atteinte à l’apparence de neutralité de la justice d’une manière qui empêche la présidente de la Cour suprême de participer aux audiences », a écrit M. Rothman.

3 Sur la base du système d’ancienneté, qui n’est inscrit dans aucune loi et n’est donc qu’optionnel, le juge de gauche Yitzchak Amit devrait remplacer la juge de gauche Esther Hayut en tant que président de la Cour suprême lorsque Hayut prendra sa retraite le 26 octobre (même si Uzi Vogelman est susceptible de refuser, car il prendra également sa retraite prochainement). Si Amit est nommé, cela perpétuera le penchant idéologique de gauche de la Cour, qui depuis des années met des bâtons dans les roues de la coalition, qui est de droite, ou pour être exact, de la majorité des électeurs israéliens, dont le bulletin de vote est réduit en confettis chaque fois que la Haute cour annule une décision fortement sioniste du gouvernement, ou un vote de la Knesset qui contrarie énormément le projet post-sioniste laïque et non-juif.

Pour briser ce cercle infernal, la coalition a entamé en 2023, avec le misérable échec que l’on sait, et la formidable force de la gauche qui n’aurait rien pu accomplir sans l’aide des médias, une réforme judiciaire qui ne va nulle part.

4 Plan B, nouvelle tentative : le juge politiquement conservateur Yosef Elron a jeté un pavé dans la mare, contrariant Hayut et ses plans pour transférer en douceur le pouvoir de la Cour à son partenaire idéologique. Cependant, la contrariété de Hayut est plus d’ordre émotionnel – c’est une atteinte à l’arrogante suprématie de la présidente – qu’un obstacle réel : malgré toutes les tentatives politiques en cours, il serait très improbable qu’un juge conservateur en général, et Elron en particulier, ait la moindre chance de présider la Cour suprême : c’est le domaine royal de la gauche post-sioniste, le trône depuis lequel elle parvient à ralentir la longue marche qui éloigne les citoyens israéliens du socialisme de l’ère du parti Havoda, qui a perdu le pouvoir dans les années 70.

5 Parmi les projets de loi sur la réforme judiciaire destinés à briser le monopole de la gauche, Rothman a proposé une loi selon laquelle la sélection des juges des chambres judiciaires ne serait plus laissée à l’appréciation du président de la Cour suprême, mais se ferait exclusivement par le biais d’une sélection informatique. C’est le système utilisé par les tribunaux rabbiniques d’Israël pour sélectionner les Dayanim (juges religieux), ainsi que par divers tribunaux dans le monde. C’est un projet de pis-aller, car le nombre de juges activistes et de gauche est actuellement supérieur au nombre de juges conservateurs à la Cour suprême. Cela permettrait tout juste d’éviter une majorité automatique préétablie par la gauche dans des affaires clés – et encore… c’est toujours le président de la Cour suprême qui décide combien de juges siégeront dans une affaire donnée…

L’introduction de cette méthodologie ne supprimerait pas le pouvoir du président de la Cour suprême, mais elle réduirait sa capacité à introduire des préjugés fortement idéologiques dans les grandes affaires judiciaires contre le gouvernement, comme c’est constamment le cas.

Pour qu’un tel projet aboutisse, il faut l’assentiment de la Haute cour, c’est le chat qui se mord la queue.

6 L’avocat du Likoud Ilan Bombach, qui représente le gouvernement devant la Cour suprême, a déposé une nouvelle demande de report des audiences sur les recours contre la première loi de réforme juridique adoptée par la Knesset en juillet. Les audiences doivent débuter le 12 septembre, et c’est la première fois dans l’histoire d’Israël que les 15 juges de la Cour suprême y participeront. La raison de la demande de report est que le conseil du gouvernement n’a pas assez de temps pour préparer une réponse à une situation aussi extraordinaire et sans précédent, où la conseillère juridique du gouvernement a demandé à la Cour – pour la première fois dans l’histoire ! – d’abroger la Loi fondamentale.

M. Bombach a déclaré qu’il lui restait trop peu de temps pour se préparer à un procès

« dans des circonstances tout à fait extraordinaires où la position de la conseillère du gouvernement ne reflète pas la position du gouvernement mais renforce la position des appelants.

A la première lecture de la réponse de la conseillère juridique du gouvernement, nous constatons qu’elle adopte la position la plus extrême possible en soutenant la mesure la plus extrême et la plus radicale de l’histoire de la jurisprudence israélienne, à savoir l’abolition de la loi fondamentale », a déclaré l’avocat du Likoud.

« Il s’agit d’un tremblement de terre dans le droit israélien, et il n’y a aucune raison pour que le défendeur réponde à une position aussi extrême et lourde de conséquences en si peu de temps, en quelques jours », a écrit l’avocat du Likoud.

Là encore, c’est le chat qui se mord la queue : il n’y a aucune chance que la Haute cour, qui est opposée au gouvernement, lui accorde du temps pour mieux défendre sa position !

7 La Cour suprême israélienne n’a jamais annulé une loi fondamentale. C’est comme si la Cour suprême américaine annulait un amendement à la Constitution des États-Unis ou que le Conseil constitutionnel français modifiait la constitution française : c’est très largement au-delà de ses prérogatives, puisque l’une des protections fondamentales de toute démocratie est la séparation des pouvoirs, pour éviter qu’une branche ne devienne trop puissante et veiller à ce que chaque branche puisse contrôler et équilibrer les autres.

Dans une démocratie,

On le voit clairement, Israël n’est pas suffisamment démocratique, l’équilibre des pouvoirs n’est pas assez protégé, puisque la Cour suprême peut également contrôler les actions du gouvernement et de la Knesset.

Conclusion

Je n’ai pas l’habitude de spéculer, et je ne vais pas commencer aujourd’hui, si près du 12 septembre. Je peux cependant avancer quelques hypothèses fondées sur la réalité et mon expérience.

La réduction de la loi sur l’extrême déraisonnabilité est probablement le point le plus secondaire de la réforme judiciaire. Même le juge Barak, bien qu’il ait nié depuis, a déclaré ne pas être hostile à sa suppression.

L’annulation de la loi revêt cependant un sens extrêmement symbolique : toute la gauche, presque tous les médias, les responsables des institutions et des grandes entreprises sont mobilisés contre le gouvernement, et la confirmation de la loi serait considérée comme un tremblement de terre inacceptable de la part des très puissants opposants à la réforme.

Partout dans le monde occidental, je constate que la gauche est essentiellement totalitaire – elle ne tolère aucun partage, aucune discussion, aucune dissension, et ne lâche jamais, absolument jamais aucun pouce de terrain. Elle est même souvent prête à tout, même à des décisions illégales, pour arriver à ses fins.

La droite, au contraire, est plus à même de faire des compromis et d’adopter des positions intermédiaire pour tenter de réduire les divisions du pays et adoucir les tensions. Elle est plus raisonnable, moins extrémiste et plus à l’écoute. Pour cela, je doute fortement que la gauche israéienne agisse différemment, et qu’elle lâche prise sur cette clause de raisonnabilité, même si elle est peu importante. Par principe. Parce que la gauche n’est pas du genre à négocier.

Dites-moi, dans les commentaires, ce que vous pensez de mes « hypothèses éclairées ».

© Jean-Patrick Grumberg pour Israël 24 7.org

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