Initialement publié le 27 janvier 2019 @ 17h00
Remarquez le contraste : lorsque Matteo Salvini, le ministre italien de l’Intérieur, s’est récemment rendu à Jérusalem, qu’il a saluée comme la capitale d’Israël, le Premier ministre Benjamin Netanyahu l’a qualifié de « grand ami d’Israël ».
De retour chez eux, cependant, les Juifs libéraux italiens dénonçaient Salvini pour, entre autres, sa politique tsigane et son prétendu « racisme contre les étrangers et les migrants ».
Une bataille similaire, opposant le puissant Etat d’Israël à de petites communautés juives en voie de disparition (1), se déroule dans de nombreux pays européens, débattant invariablement sur le même sujet : ce que la presse appelle les partis d’extrême droite, populistes, nativistes ou nationalistes – et que j’appelle les « partis civilisationnels » (car ils visent principalement à maintenir une civilisation occidentale).
Il n’est pas surprenant que les dirigeants israéliens se concentrent sur la politique étrangère de ces partis, les considérant généralement comme leurs meilleurs amis en Europe, tandis que l’establishment juif européen, comme on pouvait s’y attendre, met l’accent sur les profils nationaux des partis, les présentant comme incorrigiblement antisémites, augurant même un retour aux dictatures fascistes du XXe siècle.
Aussi bornée et marginale que puisse paraître cette bataille intra-juive au yeux du monde, elle est en réalité très importante, et peut influencer le cours futur de l’Europe.
Cela résulte de l’autorité morale unique conférée par l’Holocauste aux Juifs pour juger qui est fasciste et qui ne l’est pas.
Ou, pour reprendre les termes plus nuancés du Wall Street Journal (2), « si les électeurs juifs représentent une part relativement faible de l’électorat dans de nombreux pays européens, gagner leur soutien pourrait contribuer à améliorer l’image publique des partis d’extrême droite ». Si Jérusalem l’emporte, les civilisationnels pourront plus facilement et plus rapidement rejoindre le courant politique dominant de l’Europe, accéder au pouvoir et s’attaquer à leurs problèmes prioritaires de contrôle de l’immigration et de lutte contre l’islamisation. Si l’establishment juif local l’emporte, les civilisationnels lutteront plus longtemps pour gagner en légitimité, ils atteindront ainsi le pouvoir plus lentement, et atteindront leurs objectifs avec beaucoup plus de peine.
Juifs d’Europe
« En France, les Juifs représentent moins de 1 % de la population, et ils ont connu près de 40 % des actes violents à caractère religieux perpétrés en 2017 »
Les Juifs qui vivent en Europe (à l’exclusion de la Russie) sont environ 1,5 million sur une population d’environ 600 millions, soit un quart de pour cent. C’est à peu près autant que les hindous vivant en Europe, et un vingtième du nombre des musulmans.
Contrairement à ces nouvelles communautés religieuses, les Juifs ont enduré une histoire troublée de deux millénaires en Europe, marquée par la diffamation du crime de sang et autres théories conspirationnistes, les croisades, les ghettos et les pogroms, et qui a culminé avec l’Holocauste. De même, à la différence des communautés immigrées en pleine croissance, les défis simultanés de l’immigration musulmane de masse, de l’antisémitisme endémique (3) et de l’antisionisme de gauche (4) rendent la situation des Juifs européens si précaire qu’en France, où les Juifs représentent moins de 1 % de la population, ils ont connu près de 40 % des actes violents à caractère racial ou religieux perpétrés en 2017. (5)
Et un récent sondage révèle que 38 % des Juifs d’Europe envisagent d’émigrer du continent. (6)
Cette communauté historiquement craintive garde encore la tête basse. A l’exception partielle de la France, les Juifs d’Europe ont tendance à adopter des vues quasi antisionistes pour apaiser les critiques d’Israël. C’est ce qui explique les outrages tels que la Maison d’Anne Frank à Amsterdam qui compare l’ancien premier ministre israélien Ariel Sharon à Hitler (7), tandis qu’une exposition du Musée juif de Berlin sur Jérusalem souligne presque exclusivement l’histoire et le caractère musulmans de cette ville (8).
Les dirigeants juifs restent également en grande partie muets au sujet de l’immigration de masse et dirigent leur hostilité collective contre les partis de civilisation, un acte de vertu civique juive exigé par l’establishment européen si les dirigeants juifs veulent rester respectables, garder leur accès au gouvernement et être traités avec douceur par les médias traditionnels. En France, par exemple, Gilbert Collard du Rassemblement national est peut-être « un défenseur inconditionnel » d’Israël, mais louez ce qu’il dit et vous vous retrouverez rapidement qualifié de raciste, et exclu de la bonne société.
Certes, certains civilisationnels conservent une vision raciale, conspiratrice et antisémite des Juifs ; il faut faire preuve de vigilance pour s’assurer que leur amitié professée n’est pas seulement une tactique pour gagner leur approbation et leur légitimité. Mais les civilisationnels ne sont pas le problème majeur des Juifs. Sur le plan politique, ils ne favorisent pas une immigration sans entraves et un multiculturalisme qui tolère, voire encourage, l’islamisation, double menace existentielle pour la vie juive en Europe.
Sur le plan personnel, les civilisationnels ne représentent pas le principal danger pour les Juifs.
Dans sa grande enquête sur la discrimination et les crimes haineux contre les Juifs (9), l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, a révélé que « les incidents les plus graves de harcèlement antisémite » sont perpétrés :
- A 30 % par des « musulmans extrémistes »,
- A 21 % par des membres de la gauche,
- Et à 13 % par des membres de la droite.
En d’autres termes, les deux groupes, islamistes et gauchistes, harcèlent les Juifs quatre fois plus que le groupe civilisationnel.
Malgré cela, de nombreux Juifs européens – et leurs dirigeants en particulier – s’engagent dans la pratique humiliante de juifs de cour – partis politiques, médias, institutions éducatives – rendant hommage à la supériorité morale de ces forces qui ruinent précisément leur vie. Pour reprendre la terminologie de Bat Ye’or, ils ont adopté le comportement des dhimmis (le statut historique de seconde classe des monothéistes non musulmans vivant sous domination musulmane).
Pour un excellent exemple de cela, citons le rabbin Pinchas Goldschmidt, président de la Conférence des rabbins européens. Il met en garde contre le fait qu’un Premier ministre Jeremy Corbyn inciterait les Juifs à quitter le Royaume-Uni (10), tout en vilipendant émotionnellement les civilisationnels qui représenteraient une menace de retour à une « dictature totale » (11), en dénonçant leurs politiques pro-israéliennes comme étant un moyen illégitime pour obtenir un « cachet casher » d’approbation (12).
Israël
« Dualité de la position allemande qui voit Berlin déclarer son engagement en faveur de l’existence et de la sécurité d’Israël tout en apportant son soutien aux organismes qui minent l’existence et la sécurité de l’Etat juif »
Le gouvernement Netanyahu apprécie le fait que les partis anti-Establishment s’opposent à la tendance verbalement chaleureuse – mais froide en profondeur – des partis hérités de l’Europe. Alors que les 3M (Theresa May au Royaume-Uni, Emmanuel Macron en France et Angela Merkel en Allemagne) parlent d’Israël positivement, ils participent plus activement à la délégitimation d’Israël aux Nations unies (13) et soutiennent l’accord avec l’Iran que les israéliens voient comme une menace fatale. Plus généralement, comme le souligne le journaliste israélien Eldad Beck : « la dualité de la position allemande voit Berlin déclarer son engagement en faveur de l’existence et de la sécurité d’Israël tout en apportant son soutien aux organismes qui minent l’existence et la sécurité de l’Etat juif ».
Contrairement aux platitudes de ces politiques, les partis de la civilisation (encore une fois, à l’exception française) considèrent Israël comme un partenaire moral en armes et un allié contre l’islamisme. Ils le montrent
- en luttant contre l’antisémitisme, (14)
- en construisant des musées de l’Holocauste, (15)
- en dénonçant l’accord avec l’Iran, (16)
- en incitant leurs ambassades à s’installer à Jérusalem, (17)
- en tirant des enseignements des services de sécurité israéliens,
- et en protégeant les intérêts d’Israël au sein de l’Union européenne. (18)
Geert Wilders des Pays-Bas par exemple, a vécu en Israël pendant un an et l’a visité des dizaines de fois par la suite. Le fait que les Juifs d’Europe vivent plus en sécurité là où les civilisationnels imposent des contrôles stricts sur la migration ne fait que renforcer l’appréciation israélienne.
Comme le fait remarquer Evelyn Gordon, en 2017, « les 100 000 Juifs de Hongrie n’ont pas signalé une seule attaque physique, tandis que les 250 000 Juifs de Grande-Bretagne en ont signalé 145 ».
Face à cette attitude chaleureuse et à la sécurité qu’ils apportent, le gouvernement israélien coopère de plus en plus avec les civilisationnels (19), pour être alors confronté à la colère des Juifs d’Europe qu’il s’est engagé à protéger, ce qui conduit à une impasse. Par exemple, Jérusalem souhaite clairement travailler avec la ministre autrichienne des Affaires étrangères pro-israélienne Karin Kneissl (20), la personne nommée par le parti civilisationniste de ce pays, mais les Juifs d’Autriche ont vigoureusement dénoncé cette perspective, allant jusqu’à dire qu’ils « combattront » Jérusalem. (21)
Conclusion
Deux points préliminaires :
Bien sûr, ni les Juifs européens ni le gouvernement israélien ne sont monolithiques. Paula Bieler en Suède, Gidi Markuszower aux Pays-Bas et Davis Lasar en Autriche représentent leur parti civilisationnel au parlement ; Juden in der AfD [les juifs dans l’AfD] soutient les civilisationnels allemands.
En revanche, le président israélien Reuven Rivlin agit comme un dhimmi : en écrivant sur l’antisémitisme dans un journal londonien, il a poliment évité de mentionner le nom de Corbyn alors qu’ailleurs, il qualifiait vicieusement les civilisationnels de « mouvements néofascistes… qui ont une influence considérable et très dangereuse » (malgré leur « soutien fort à l’État d’Israël »).
Conformément à cette attitude, Rivlin refusa de rencontrer Salvini.
Deuxièmement, cette tension européenne a un parallèle américain :
Le gouvernement israélien a de bien meilleures relations avec l’administration Trump que l’establishment juif américain.
Symbole de cela, lorsque Donald Trump se rendit à Pittsburgh pour pleurer le massacre de 11 Juifs dans une synagogue, la communauté juive locale protesta contre sa présence, laissant l’ambassadeur d’Israël aux États-Unis seul pour accueillir le président.
Si la bataille s’intensifie, l’issue est pratiquement prédestinée :
La raison d’état finira par pousser les gouvernements israéliens à passer outre les préoccupations juives locales et à travailler avec les civilisationnels, tandis que les Juifs d’Europe continueront à émigrer, ce qui affaiblira de plus en plus leur voix.
Cette évolution sera une bonne chose, car les civilisationnels ne sont pas la menace des années 1930 tels que représentée par les politiciens de l’opposition et les grands médias, mais une réponse saine à un problème extraordinaire.
En effet, plus vite l’opinion pro-israélienne prédominera, mieux ce sera pour tous : pour l’Europe, pour sa population juive et pour l’État d’Israël. La seule question est de savoir quand cela se produira.
© Daniel Pipes. L’article original est consultable sur le site de Daniel Pipes.
- JPost
- WSJ
- CNN
- The JC
- NYTimes
- Daniel Pipes
- The Guardian
- Israel HaYom
- Fra Europa
- Times of Israel
- Times of Israel
- JPost
- Achgut
- JTA
- Times of Israel
- @geertwilderspvv
- JPost
- Vox
- Washington Post
- Times of Israel
- Times of Israel
Merci d’avoir republié cet excellent article de D. PIPES.
Notons qu’en Israël, la vermine gauchiste est encore plus nuisible que dans les restes du monde, car elle s’allie avec les déchets antijuifs du monde entier.
J’ai trouvé un texte qui fait écho à l’article de Daniel Pipes :
» Les uns après les autres, les mouvements juifs et les ‘amis » prennent leurs distances. Le coup le plus blessant viendra de la communauté juive de Munich annonçant son refus d’accueillir le congrès sioniste qui devait s’y réunir vers la fin août. Plusieurs société d’Amants de Sion, notamment à Londres et à Berlin, annoncent leur propre défection. […] Les Juifs de Munich ayant donc refusé d’accueillir Herzl et les siens, c’est vers Bâle que le leader se tourne ».
L’auteur ajoute une note :
« Moins de trente ans plus tard, la bonne ville de Munich sera le tremplin d’un aventurier… »
De Claude Duvernoy, Le prince et le prophète.