Je me souviens d’un jeune médecin s’exprimant sur son identité : quand je me regarde dans un miroir, je me pose la question «qui suis-je ?». Vous autres juifs, vous n’avez pas ce problème, car votre identité est bien affirmée !»
J’avoue que cette réflexion m’a entraîné vers un sujet auquel je m’étais peu intéressé.
En fait, l’homme de la rue ne sait pas qui est juif, et ce qu’est la judéité. En dehors de quelques signes extérieurs visibles, tels que le parement physique, décoratif ou vestimentaire de certains, la nourriture, la synagogue ou l’appartenance à la citoyenneté d’Israël, ou une érudition personnelle, rien ne peut l’orienter ou lui expliquer ce qu’est un juif.
Dans les états laïcs, on ne dénombre pas la population selon les critères religieux et, selon la Bible, on ne dénombre pas les êtres humains. On ne sait donc pas combien d’êtres humains sont «juifs» et selon quels critères.
Alors la question se pose : en dehors de l’hérédité judaïque admise par les autorités du lieu et du moment, peut-on se déclarer juif spontanément, le matin, au réveil par exemple ? En fait, si elle existe, cette déclaration n’est qu’un début de cheminement, qu’on ait une mère juive ou pas.
Sur le plan historique, on est parti d’un individu qui a perçu l’unité de la création et celle d’un créateur, plutôt que la diversité divine ambiante. C’est le début du monothéisme adopté par une famille à Our (lumière) en Chaldée qui a engendré des tribus à Canaan, puis une multitude en Egypte. Cette multitude s’est transformée progressivement en nation, après des déambulations et des souffrances dans la solitude du désert; et à travers l’obtention difficile d’une loi morale et éthique et le retour vers le territoire ancestral réacquis dans la violence. Dans un environnement païen ou polythéiste, cette nation au culte monothéiste est gouvernée successivement par des Juges et des Rois. Le territoire de cette nation porte les noms de Judée, qui a donné la désignation «judéen» puis «juif» et d’Israël, qui a donné la désignation «israélite» puis «israélien».
Pendant sept siècles, la nation s’est battue avec ses voisins pour survivre, indépendante ou sous le joug de nations étrangères idolâtres ; puis elle a été finalement battue et dispersée dans le monde pendant une vingtaine de siècles.
Comment a-t-elle survécu, dispersée et sans territoire ? Grâce à la Torah et au respect des commandements qui en découlent, allant de la circoncision, de l’immersion dans un bain rituel, jusqu’à la sépulture en passant par l’étude, la prière, la conformité à certaines règles, comme la nourriture, les bonnes oeuvres et le comportement vis-à-vis d’autrui.
Cette dispersion a déclenché une multitude d’interprétations et d’attitudes vis-à-vis de la loi qui a été abondamment commentée par les «rav» et les érudits tout au long des siècles.
Puis vint le miracle du retour à la terre ancestrale et à la nation d’Israël. On y retrouve non seulement les mêmes interprétations de la loi de la Torah, mais aussi la négation de celle-ci. Pour certains, le retour à la terre serait suffisant pour se considérer comme juif.
Le débat bat son plein en Israël, tant sur le plan politique que religieux. On assiste à la lutte des partis orthodoxes pour obtenir un monopole absolu sur toutes les questions religieuses et identitaires, notamment sur les règles de la conversion (1).
Alors qui est juif ?
Comme illustration de cette situation, voilà qu’en décembre dernier, le grand rabbin de Paris, Michel Gugenheim, affirmait sur le site Akadem, que les mouvements Libéral et Massorti doivent être considérés comme «hérétiques» et qu’aucun dialogue n’était permis. D’après le dictionnaire Larousse en ligne, l’hérésie est «dans une religion constituée, une doctrine qui s’oppose à l’orthodoxie, au dogme».
Cette radicalisation et cette volonté de certains orthodoxes de dénigrer ceux qui ne suivent pas les mêmes règles qu’eux, règles qui, pour la plupart, ont émergé tout au long de la dispersion, résulte de la crainte de disparaître. En effet, l’abandon des pratiques importantes du judaïsme entraîne sa disparition progressive tout au long des générations.
L’assimilation des juifs aux autres nations a toujours existé, prenant aujourd’hui une dimension importante à la mesure de la mondialisation de la société. L’assimilation est néfaste si elle entraîne un rejet d’identité. Mais elle peut être bénéfique par les apports extérieurs (2). En parallèle, des organisations juives comme le «H’abad» ont su s’adapter à leur environnement et parviennent à «judaïser» des Esquimaux au pôle nord.
Un signal fort de résilience de l’identité juive réside dans le succès de la transmission de la tradition et de la pratique à sa descendance. Et cette transmission se réalise parfois de manière imprévisible à travers la fidélité ou la mémoire (3).
Existant depuis l’empereur grec Alexandre le Grand, l’antisémitisme entraîne partout aussi bien l’abandon de la judéité que son renforcement (4). Et le questionnement identitaire est ainsi permanent.
Si l’État d’Israël survit aux menaces qui l’entourent et aux calomnies et aléas divers qui l’atteignent, et s’il parvient à préserver les règles morales et éthiques de la Torah, je pense qu’à long terme la notion de « nation » prévaudra sur celle de « religion » dans l’identité juive.
Et le grand rabbin maugréera dans le vide.
© Albert Soued, diffusion Israël 24/7.org
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Notes
(1) Rabbin Yitschak Rudomin :
«Se convertir ou ne pas se convertir au judaïsme. La lutte est rude entre les normes de conversion concurrentes, mais il est inutile d’adopter une loi de conversion qui n’est pas largement acceptée… En fin de compte, il ne peut y avoir de conversions « instantanées » ou « rapides » qui ne sont que des exercices inutiles. La conversion au judaïsme est une affaire sérieuse qui exige un objectif sérieux, de la conviction et de l’abnégation pour atteindre un niveau supérieur de vie juive dans ce monde et dans le monde à venir».
Yitro, le beau-père madianite de Moïse, s’est converti à la foi de son gendre. Il prit la décision de renoncer aux idoles en voyant comment le peuple juif domina la nature, en traversant la mer, domina ses instincts, en adoptant les commandements de la Tora, domina sa peur, en affrontant un ennemi permanent, Amalek (voir note 4). Yitro le converti est un «plus» pour la tribu hébraïque (yoter)
(2) Ainsi Yossef, le fils bien aimé de Jacob-Israël, exilé en Egypte, devenu ministre et assimilé à la culture du pays, sauva sa famille de la famine et son assimilation fut un «ajout» apporté à la tribu hébraïque (yossef).
(3) Exemples :
- Sandrine Kiberlain, à l’occasion de la réalisation de son film «Une jeune fille qui va bien» :
«Être juif, cela veut dire le savoir et s’en rappeler. Ce sont mes racines. Je tenais à ce que mes personnages fêtent shabbat à leur manière, car il n’y a pas une seule façon d’être juif. Mais mille. Certains pratiquent, d’autres non. Certains allument une bougie le vendredi. Ce qui est mon cas, alors que je ne célèbre pas d’autres fêtes. Mais c’est une façon de penser à mes grands-parents, à ce qu’ils m’ont légué : des recettes, des traditions, des musiques, le yiddish… Ce sont des choses qui sont là sans être là. Cela ne m’enferme dans rien mais je le conserve précieusement »
(Frédéric Theobald lavie.fr)
- Gilbert Montagné, chanteur, compositeur :
«Oui, je suis juif, je le revendique et j’observe certaines traditions, comme la fête de Kippour. Pourtant pendant des années, ma mère m’a tenu à l’écart de toute éducation juive, de peur que l’histoire se répète. C’est lorsque j’ai rencontré Nikole, elle-même juive, que j’ai renoué avec mes racines. Aujourd’hui, lorsque je me trouve dans une synagogue, mes pensées vont à ma mère, à laquelle je susurre : «Maman, tu n’as plus besoin d’avoir peur !»
(France Soir 17/1/2011)
- L’histoire de Yaakov Wechsler commence il y a 79 ans dans le ghetto de Svencionys, en Lituanie, au nord de Vilna. Il n’avait que quelques mois lorsque, au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, sa mère l’a confié à une famille chrétienne pour le mettre en sécurité. Peu de temps après, ses deux parents ont été envoyés dans les chambres à gaz.
À l’âge de 35 ans, alors qu’il était prêtre et l’un des responsables de l’église de Lublin, en Pologne, sa mère adoptive lui a révélé la vérité sur son passé, à savoir qu’il était né juif et que ses parents avaient été assassinés pendant l’Holocauste. Trente ans plus tard, Yaakov décide de quitter la Pologne et de s’installer en Israël. Au début, il a continué à adhérer au christianisme, mais avec le temps, il a commencé à revenir à ses racines juives. L’association «Yad L’Ah’im» l’a accompagné dans son voyage.
Yaakov Wechsler :
«… j’ai été heureux d’apprendre qu’il existe une organisation qui se bat pour les Juifs qui se trouvent dans la situation impossible dans laquelle j’étais, qui fait en sorte qu’ils n’aient pas à faire le voyage de retour par leurs propres moyens. Je suis heureux qu’il existe une organisation qui les aide à rentrer chez eux pour le bien de leur âme» –
https://www.facebook.com/Qualita/videos/837234789977461/
(4) Daniel Pinner, professeur qui enseigne la Torah, parlant de la nation juive face à Amalek (Deutéronome 25/17-19) ou de tout antisémite :
«Ils sont de la nation juive, c’est tout. C’est tout. Ils sont de la nation qu’il haïssait et qu’il désirait exterminer, donc il ne se souciait pas de ce que pouvaient être leurs croyances et leurs pratiques… Ne tombez jamais dans le piège de croire que vous pouvez éviter leur haine en vous assimilant, ou en diffusant votre hostilité à l’égard d’Israël, ou en vous solidarisant avec les ennemis d’Israël, ou en faisant preuve de générosité envers les réfugiés du monde entier.»
Deutéronome 25/17-19 :
- 17 Souviens-toi de ce que t’a fait Amalec, lors de votre voyage, au sortir de l’Egypte;
- 18 comme il t’a surpris chemin faisant, et s’est jeté sur tous tes traînards par-derrière. Tu étais alors fatigué, à bout de forces, et lui ne craignait pas Dieu.
- 19 Aussi, lorsque l’Éternel, ton Dieu, t’aura débarrassé de tous tes ennemis d’alentour, dans le pays qu’il te donne en héritage pour le posséder, tu effaceras la mémoire d’Amalec de dessous le ciel: ne l’oublie point.