Ce mardi 1er février, les prix des carburants en Israël ont augmenté de 5,34 % pour atteindre 1,90€ par litre ou 9,64 dollars par gallon (4,60 à Los Angeles, qui est déjà un tarif prohibitif).
En début de semaine, le ministre des Finances Avigdor Lieberman (Israël Beiteinou) et la ministre de l’Économie Orna Barbivai (Yesh Atid) ont envoyé des lettres aux grands importateurs et fabricants israéliens qui avaient annoncé des hausses de prix :
- S. Schestowitz (biens de consommation et cosmétiques),
- Leiman-Schlussel (produits de boulangerie et confiserie),
- Diplomat (produits alimentaires et soins personnels),
- Ristretto (produits alimentaires),
- Sano (détergents),
- Osem (produits alimentaires) et
- Strauss (produits alimentaires)
Il leur demande ouvertement, dans le genre de langage diplomatique « à la russe » :
« En cette période complexe, on attend de votre entreprise qu’elle prenne ses responsabilités et annonce l’annulation de l’augmentation des prix que vous avez annoncée. »
Sauf que si la hausse du coût déjà très élevé du carburant en Israël s’explique par la hausse du prix mondial du carburant à cause des décisions du président Biden dès les premiers jours de sa nomination, la plus grande partie de ce prix provient des taxes et de la TVA. Et Lieberman n’est pas tout à fait dans la position de pouvoir donner des leçons de morale, puisque s’il avait gelé les taxes sur les carburants aux taux de décembre dernier, le prix à la pompe n’aurait pas flambé, et la hausse du prix de l’essence aurait été la moitié de ce qu’elle est. C’est toujours plus facile de mettre en cause les entreprises, ou les banques, et tellement plus habituel, pour un politicien, de n’assumer aucune responsabilité.
Donc le gouvernement israélien n’a pas l’intention de se restreindre comme il l’exige des importateurs et fabricants. Pourquoi le ferait-il ? Pour le seul mois de novembre 2021, la taxe sur l’essence a rapporté 1,8 milliard de NIS (0,57 milliard de dollars) et pour toute l’année 2021, 21,5 milliards de NIS (6,8 milliards de dollars).
Mais attendez, il y a mieux !
- Le prix de l’eau augmente, selon l’endroit où vous vivez en Israël.
- Les taxes foncières aussi.
- Le prix de l’électricité augmente de 5,7 % mardi. On nous dit que c’est à cause du prix du charbon, qui a récemment augmenté de 100 %, parce que 20 % des centrales électriques israéliennes utilisent encore le charbon. Dans un pays qui compte 300 jours de soleil par an, dont le littoral produit de la brise à l’infini, qui est producteur et exportateur de gaz, qui a des réserves non-exploitées de pétrole de schiste – merci aux écolos – c’est dur à digérer.
La lettre des deux ministres, qui ne manquent décidément pas de culot, poursuit :
« Le shekel est considérablement renforcé par rapport aux autres monnaies du monde, dans un environnement faiblement inflationniste. Cela signifie que les prix des produits importés par les entreprises en Israël ont considérablement baissé – sans pour autant réduire le coût pour le consommateur israélien, qui reste l’un des plus élevés au monde pour ces produits. »
Là encore, deux remarques :
- une entreprise calcule ses prix par rapport à la concurrence, au marché. Il n’est pas en mesure de changer ses prix aussi souvent que les taux de change baissent ou montent. Quand les taux montent, il accuse le coût pour ne pas casser le cycle de vente, et quand ils baissent, il tempère pour ne pas perturber les gens qui ont payé plus cher. Ca, un ministre ne peut pas le comprendre.
- De plus, réduisez ou enlevez les taxes qui plombent jusqu’à 100% le prix de certains produits, éliminez la ruineuse tracasserie administrative, et vous verrez les prix israéliens devenir très compétitifs. Ca, les politiciens le cachent au public.
Les ministres ajoutent, sans honte :
« Votre annonce d’une augmentation des prix en ce moment est cynique et fait du tort aux citoyens de notre pays. »
Lieberman a-t-il été nourri au sein du communisme russe ? Les entreprises peuvent-elles faire ce qu’elles veulent avec leurs prix ? Israël veut-il être infidèle au sionisme, qui prévoit le libéralisme économique dans ses fondements ?
Les prix en Israël sont anormalement élevés par rapport aux marchés occidentaux, mais :
- Les prix sont réhaussés par le surcoût de la casherout. Son monopole, qui heureusement vient d’être démantelé, devrait faire baisser cela
- Sauf erreur, seuls les produits casher peuvent être importés, ce qui diminue la concurrence n’aide pas à la baisse des prix, et oblige les industriels alimentaires à des lignes de production différentes, plus coûteuses.
- Les industries israéliennes sont protégées de la concurrence par des politiques gouvernementales, des pratiques douanières douteuses à la limite de la légalité, des situation de monopole auquel le gouvernement ne s’attaque pas,
- des monopoles verticaux (un même industriel est en situation de monopole pour sa production, la distribution, et la vente au détail) encore plus nocifs que les simples monopoles.
- Les entreprises sont soumises à une réglementation aussi onéreuse qu’inutile.
En novembre 2021, le département de la Knesset chargé de la supervision budgétaire a publié cette comparaison entre les dépenses moyennes consacrées à l’alimentation en Israël et dans l’Union européenne (en millions de NIS) :
Pain et céréales : Israël 154 ; UE 90
Viande : Israël 143 ; UE 99
Poisson : Israël 124 ; UE 101
Lait, fromage et œufs : Israël 179 ; UE 90
Huile et graisse : Israël 143 ; UE 94
Fruits et légumes : Israël 96 ; UE 91
Boissons gazeuses : Israël 149 ; UE 90
Boissons alcoolisées : Israël 155 ; UE 86
A l’inverse, et c’est un phénomène assez récent, les biens de consommation que l’économie israélienne ne produit pas et qui sont uniquement importés de l’étranger (téléviseurs, téléphones portables, textiles, produits ménagers) sont disponibles à des prix à peu près égaux à ce qu’ils coûteraient dans d’autres pays, avec quelques taxes bénignes.
La raison pour laquelle Osem et Strauss peuvent pratiquer des prix exorbitants pour les produits qui se trouvent dans votre frigo est qu’ils sont largement protégés de la concurrence extérieure. Et ne parlons pas des méthodes mafieuses et bien réelles de ces commerces alimentaires qui se sont vu menacés de boycott s’ils ne retiraient pas de leurs rayons des produits concurrents d’importation qui faisaient de l’ombre aux produits israéliens.
Je prends un exemple – toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite. Prenez l’excellent chocolat Côte d’Or aux noisettes. Bien meilleur que l’équivalent israélien, et moins cher. Tellement, qu’il s’envole des étagères. La marque israélienne, qui distribue toute une gamme de produits, y compris le café le plus vendu en Israël, menace le supermarché : soit vous retirez le chocolat Côte d’Or des rayons, soit vous allez acheter votre café en poudre ailleurs (il n’existe pas d’autre marque qui corresponde au goût du public israélien). Que fait le supermarché ? Va-t-il risquer de perdre 1000 ventes parce qu’il n’a plus le café que veulent les Israéliens, pour vendre 10 plaques de Côte d’Or ? Etc.
Pour faire baisser le coût des produits, il faut des changements structurels dans l’économie. Reconnaissons que Netanyahou l’a maintes fois promis et jamais vraiment mis en place de manière perceptible au moment de passer à la caisse.
- prendre exemple sur les pays qui font un sans faute (oubliez les pays européens),
- s’écarter de toute théorie économique socialiste,
- réduire la bureaucratie,
- supprimer les milliers réglementations inutiles,
- libérer l’économie des barrières à l’importation telles que les droits de douane, les quotas, la corruption douanière et postale,
- libérer le personnel de la chaîne d’approvisionnement de la terreur syndicale,
- encourager la concurrence,
- casser le reins des monopoles,
- rendre la création (et la fermeture) des entreprises aussi simple que le formulaire pour envoyer une lettre recommandée,
- éviter le travers fiscal, législatif et réglementaire, qui a permis aux plus riches Américains de s’enrichir plus vite et dans des proportions gigantesques au détriment des classes moyennes qui se sont considérablement appauvries dans les mêmes proportion – un transfert de richesse orchestré par les lobbies.
Le ministre des finances Liberman a déjà fait des promesses lorsqu’il faisait partie des gouvernements précédents, et il ne les a pas tenues. Pourquoi s’imaginer qu’il va le faire maintenant, je l’ignore.
Lieberman a encore promis des mesures. Soyons honnêtes, il a commencé à tenir certaines promesses. Mais il pourrait faire mieux, faire plus, et surtout, bien plus vite. Mais il a été récemment accusé d’être un ministre absentéiste.
Lundi, Lieberman a parlé de la hausse des prix comme un politicien parle de tous les sujets : en bottant en touche, en retournant le sujet, en déviant du sujet, et surtout, en s’exonérant totalement sans prendre la moindre responsabilité. Il a déclaré, lors d’une réunion de la faction Israël Beiteinou à la Knesset :
« Il faut comprendre que la hausse des prix dans l’État d’Israël est la plus modérée du monde. »
Honnêtement, il n’existe rien de pire que ça. Lorsque je rentrais de l’école avec des mauvaises notes et que j’expliquais à ma mère que Zeev Gourarier (un bon copain, nous étions dans la même classe à Nogent, il est maintenant conservateur de musée français), avait eu une plus mauvaise note que moi, et qu’elle me répondait que dans la vie, on ne doit jamais se comparer à plus mauvais que soi, sinon on reste médiocre, mais à ceux qui ont fait mieux, même moi, du haut de mes 12 ans, je comprenais, et Lieberman ne comprend pas ça, à la tête de l’Etat juif ?
Lieberman, il ne manque pas de Chutzpa ( prononcer « routspa »- culot en hébreu) : les prix alimentaires et énergétiques d’Israël sont les plus élevés de l’OCDE, et il se vante de ne pas les augmenter autant que les pays où les prix sont à la moitié ? Prenez exemple sur ceux qui font mieux, monsieur le ministre, et les Israéliens seront mieux servis de ce côté-là. Hélas pour eux, les Israéliens font partie des dix peuples les plus heureux au monde, ce qui n’encourage pas des politiciens de niveau moyen à se dépasser…
© Jean-Patrick Grumberg pour Israël 24 7.org
Cher Jean-Patrick je vous trouve un peu optimiste sur la « naturelle » régulation du monde capitaliste. La concurrence ne fonctionne que si il n’y a pas d’entente entre les ténors d’un marché. Donc un gouvernement, même libéral, peut être obligé d’intervenir de temps en temps. Je ne dis pas que c’est le cas, je n’y connais rien. Je parlais juste sur les principes généraux.
Vous avez doublement raison : oui je suis optimiste par nature, et oui, sans régulation, tous les abus sont possibles. Tout est dans la nuance et la mesure : certaines réglementations aident, d’autres nuisent. Le juste milieu est que le gouvernement, qui par nature est nuisible quand il se mêle de sujets qu’ils ne comprend pas, se fasse discret, mais pas absent. Cependant, même sans intervention, un système capitaliste qui fausserait le jeu par ententes serait toujours mille fois meilleur pour le public que n’importe quel système socialiste.