Trois mois après l’annonce de la réforme du système judiciaire par le ministre de la Justice Yariv Levin, la coalition n’a pas réussi à faire passer sa clause phare, et a gelé la réforme. La Haute cour se lèche les babines et distribue ses ordres au gouvernement à tour de bras.
Officiellement, la coalition parle d’un gel temporaire pour les besoins des discussions avec l’opposition à la Maison du Président, mais de nombreux membres de la coalition pensent que l’histoire est terminée et que les changements dans le système n’auront plus lieu cette année.
Je dis qu’un joker pourrait modifier ce pessimisme. Ce joker porte un nom et un prénom. On l’appelle souvent Benjamin Netanyahou.
La droite doit faire son autocritique (mieux vaut tard que jamais)
La plupart des acteurs de la coalition désignent la mauvaise communication comme la principale raison de l’échec de la législation. Les promoteurs de la réforme, et en particulier Levin et Rothman, étaient persuadés que l’ensemble du public maîtrisait en détail la situation judiciaire en Israël, comprenait ce qui se passera après la réforme, et pourquoi elle était nécessaire. Ils se sont sans doute appuyés sur les sondages, qui depuis des années, donnent un très mauvais taux de popularité à la Haute cour, et que le public veut voir changer.
Le budget de la campagne d’information, tel qu’il a été révélé dans « Israel Hayom », s’élevait à quelques ridicules milliers de shekels, sans structure ordonnée, et reposait uniquement sur les équipes de Levin et de Rothman – absolument pas des pros. Tout cela alors qu’ils avaient en face d’eux un système extrêmement bien huilé d’agitateurs, financés en partie depuis l’étranger, qui ont mené une campagne préparée depuis novembre 2022, et s’est appuyée sur les leviers traditionnels de l’excitation des foules et de la propagande démagogique, et bien entendu, des médias. Résultat particulièrement réussi.
Un exemple des erreurs de communication se trouve dans les différentes interviews de Simcha Rothman qui, à chaque fois qu’on lui demandait pourquoi la réforme était nécessaire, se référait à ses livres traitant du sujet. Levin a également commis cette erreur, lorsqu’il a cru que ses longues interviews sur le podcast de Gadi Taub ou avec Shaul Amsterdamski sur « Kan 11 » suffisaient à expliquer la nécessité de la réforme. Certes, tout le monde a besoin de boucs émissaires, mais les deux ont fait l’objet de nombreuses critiques au sein de la coalition ces derniers jours – par ceux qui les auraient chaleureusement applaudis en cas de succès, et Levin a même fait l’objet de critiques similaires dans les groupes d’activistes du Likoud.
Un autre élément qui a probablement marqué l’échec est l’absence de stratégie et de réflexion globale. Les quatre sections de la réforme, prévues à l’avance, ont été soumises en même temps, ce qui a donné lieu à des discussions sur toutes les lois. S’agissant d’une série de changements radicaux dans le système, les présenter tous en même temps s’est avéré être une grave erreur.
Il y a eu des avertissements en cours de route.
Beaucoup ont essayé d’avertir Rothman et Levin qu’il serait préférable de ralentir, de tout mettre en œuvre séparément et progressivement, afin de réduire la peur de la réforme dans l’opinion publique.
Ils craignaient cependant que deux facteurs conduisent à l’échec.
- Le premier, révélé ces derniers jours, est la crainte de M. Levin de voir son dossier étouffé, comme cela a été le cas dans le passé pour les ministres de la Justice qui ont tenté de faire évoluer le système.
- La deuxième crainte est que Netanyahou mette un terme à la promotion de la réforme.
Résultat, ce fut une fuite en avant sur tous les fronts à la fois, pendant que la protestation montait en intensité, au point d’entraîner l’effondrement de l’ensemble de la réforme.
Outre ces deux questions, qui constituent des erreurs tactiques dans la conduite de la réforme, il y a également eu un échec stratégique du gouvernement.
Une série de lois conçues pour servir principalement Netanyahou et Deri ont été adoptées ou proposées au cours des trois premiers mois du gouvernement. Elles ont alimenté et excité la protestation, et contribué à nourrir et crédibiliser la fausse accusation que la réforme était destinée à servir uniquement Netanyahou. Ce fut le cas de la « loi Deri 1 » et de la « loi Deri 2 », ainsi que de la loi sur les dons, destinée à permettre à M. Netanyahou de recevoir l’argent que son défunt cousin lui avait transféré pour les besoins de son procès. L’augmentation du budget personnel pour la famille Netanyahou n’a pas non plus été du meilleur goût, en tous cas, pas en pleine réforme judiciaire. Ces décisions maladroites ont servi de prétexte aux journalistes, trop heureux de ces bâtons tendus pour se faire battre, et contribué à créer une image négative de la coalition en général, et de la réforme judiciaire en particulier, auprès du public moins informé.
Un autre dommage majeur à la réforme est venu des membres de la coalition à la Knesset eux-mêmes, qui ont donné des interviews aux médias alors qu’aucune stratégie n’avait été prévue pour encadrer et structurer le message, comme ce fut le cas à gauche, où tous les intervenants, les médias, les experts, se sont largement coordonnés à l’avance pour décider quel message serait délivré à quel moment – c’est par exemple ainsi qu’on entendit sur toutes les bouches, il y a deux mois, « qu’Israël allait devenir la Hongrie », si la réforme était passée. De partout, au même moment, avant de passer au point presse suivant.
J’ai gardé la raison principale pour la fin
La droite est naïve. Elle n’avait aucune idée, elle n’avait pas imaginé la puissance des forces qui allaient se dresser devant elle et qu’elle devrait affronter. Elle n’a pas supposé qu’un groupe d’anarchistes était prêt à brûler le pays -économiquement – pensant que certains sujets étaient sacrés, et qu’on n’y touchait pas – comme les enfants que les tueurs à gages des mafias refusent de tuer… jusqu’au moment où ils les tuent.
La droite a sous estimé l’existence de groupes financés par les Etats-Unis, comme Movement for Quality Government (MQG), qui a directement reçu de l’argent du gouvernement américain, mais aussi de très riches donateurs anonymes. Ces groupes sont des spécialistes de l’agitation des foules – souvenez-vous des émeutes qui ont déchiré l’Amérique après l’horrible interpellation du petit voyou George Floyd, et la montée en puissance de Black Lives Matter.
La droite n’a jamais imaginé que des élites de la société israélienne, des dirigeants de Startup dont elle est généralement si fière, choisiraient de recourir aux procédés de BDS, et que les politiciens de l’opposition, Lapid en tête, adopteraient les habitudes de Mahmoud Abbas, et feraient appel aux instances étrangères pour répandre des calomnies et des mensonges sur la réforme et le gouvernement Netanyahou dans le monde et faire condamner Israël jusqu’au parlement européen et l’administration américaine.
La droite n’a jamais pensé que la gauche bloquerait le pays, mettrait le feu aux rues, et injecterait des millions de shekels pour faire campagne contre Netanyahou – au prétexte d’une réforme qu’ils réclament aussi (si ce n’était pas la réforme, ils auraient trouvé autre chose).
La droite est naïve. Elle pensait sincèrement que les dirigeants de l’opposition se soucient tous du bien être de l’État juif. Il est douloureux de constater que leurs messages disaient le contraire.
© Jean-Patrick Grumberg pour Israël 24 7.org