Initialement publié le 7 juin 2018 @ 16h41
Le livre de Gérard Israël, JID, Les Juifs en U.R.S.S., a été publié dans la rubrique Édition Spéciale, Document (© Éditions Publications Premières, Paris, 1971) : Jid était un terme de mépris désignant les juifs dans la langue populaire russe. Trois millions de Juifs vivaient en U.R.S.S. en 1971. Autant d’hommes à qui ont été refusés le droit de disposer d’eux mêmes. Tous les ponts ont été coupés : pour eux, exil ou intégration étaient interdits. Suspects d’être les ennemis de la nation soviétique et du socialisme, victimes des préjugés populaires depuis l’époque tsariste, ils étaient condamnés à être les citoyens de nulle part et de nulle religion. Le mouvement sioniste ne risque-t-il pas de contaminer les autres minorités ethniques, culturelles et religieuses de l’U.R.S.S. ? Gérard Israël explique comment on a pu en arriver à ce point de non-retour.
II montre que la grande pitié des Juifs d’U.R.S.S. n’est pas un hasard ni une fatalité. Même si le temps des pogroms est révolu, ils vivaient en 1971 dans un ghetto sans frontière.
L’intention politique restait apparemment inchangée. Très documenté, direct et sans parti-pris, Jid nous fait vivre une des pages les plus bouleversantes de l’Histoire de l’U.R.S.S.
Après le temps des pogroms de l’époque tzariste, en Pologne annexée, en Ukraine et en Russie, le communisme en Union soviétique a inventé les nouvelles accusations de « crimes de sionisme » pour redonner vie aux préjugés antisémites sous la forme de « crimes politiques » contre l’existence juive en Union soviétique !
Gérard Israël : « Les cosmopolites, les gens sans origine, ni passeport, étrangers à l’âme slave, les nationalistes chauvins, les particularistes, les bourgeois décadents, ce sont là des thèmes authentiquement communistes. Lorsque les attaques contre la religion devinrent inutiles en raison du nombre limité de fidèles pratiquant ouvertement leur religion, lorsque les attaques économiques durent tenir compte de l’intégration des juifs dans les structures productives de la société, lorsque les écrivains de langue yiddish, du moins ceux qui restaient encore en vie, furent privés du toute possibilité de publier leurs œuvres, quand les théâtres juifs en langue juive disparurent, alors les communistes remirent au goût du jour les attaques les plus virulentes, les plus haineuses contre le sionisme, cette théorie d’un peuple juif vivant dans son propre État juif.
Dans l’esprit de ses initiateurs, cette théorie sioniste était censée s’appliquer à toutes les sociétés, y compris celles des pays Socialistes. Sachant et reconnaissant volontiers qu’il existe encore en U.R.S.S. des germes d’antisémitisme populaire, les dirigeants soviétiques, en relançant la lutte antisioniste qui a commencé 40 ans plus tôt, savent qu’ils risquent de réveiller des instincts mal dominés chez les Russes et les Ukrainiens.
Être sioniste est considéré comme un crime en U.R.S.S. Les preuves de cette lutte antisioniste sont nombreuses. Citons des extraits (de propagande paranoïaque) d’un article récent de la Pravda : « Les cercles sionistes jouent un rôle de plus en plus actif dans la lutte que mène l’impérialisme contre le socialisme et les forces de progrès. Le sionisme est un instrument de l’impérialisme dans sa lutte globale et dans ses activités de subversion politique et idéologique contre l’U.R.S.S. et contre le système socialiste mondial. Son but est de miner de l’intérieur les régimes socialistes. Le sionisme contemporain est une idéologie.
« C’est un système inimitié d’organisations de la grande bourgeoisie juive qui a partie liée avec les cercles monopolistiques des États-Unis et d’autres puissances impérialistes. Le caractère fondamental de la politique sioniste est le chauvinisme militant, l’anticommunisme et l’antisoviétisme. Les activités du sionisme n’ont pas uniquement pour but le soutien de l’État d’Israël, la « corporation sioniste internationale », personnifiée par l’Organisation Sioniste Mondiale et son rejeton, le Congrès Juif Mondial, a pour but de favoriser l’activité d’un « centre international d’espionnage » et un « service de Propagande » tendant à diffuser des informations erronées sur l’U.R.S.S. Il est caractéristique que parmi ceux qui financent systématiquement les activités des organisations sionistes dans le monde, lesquelles contribuent à la course aux armements en Israël ainsi qu’aux aventures militaires de cet État, nous rencontrons les magnats financiers de différentes nationalités. »
« Le pouvoir soviétique, dès le début de son existence, a mené une lutte contre la « conspiration sioniste » qui collaborait étroitement avec la contre-révolution. »
Après avoir rappelé que la « subversion sioniste » remonte au début du communisme en U.R.S.S., l’auteur continue : « Le 2 mai 1918 se tint une conférence clandestine de l’une des organisations sionistes de l’époque. Son programme était un « plan concret de lutte contre le communisme ». On y lisait notamment :
« Le socialisme va à l’encontre du sionisme, par conséquent le sionisme et le socialisme ne sont pas seulement deux pôles qui se repoussent réciproquement, mais deux éléments qui s’excluent l’un l’autre. »
L’auteur de la Pravda indique alors que, selon lui, les sionistes ont eux-mêmes créé l’antisémitisme pour pouvoir obtenir qu’un plus grand nombre de juifs partent pour Israël. L’auteur continue :
« Jabotinski écrivait en 1905 : « l’antisémitisme, surtout considéré comme principe, est très commode et très utile comme argument en faveur du sionisme ». Et c’est pour cette raison que Jabotinski collaborait étroitement pendant la guerre civile avec Petlioura pour favoriser l’antisémitisme »…
« Les sionistes n’ont pas hésité à s’allier avec les nazis. Pendant la guerre ils étaient actifs dans les pays d’Europe occidentale et orientale et dans les régions occupées de l’U.R.S.S. »
Jabotinsky (Vladimir Zéev), 1880-1940. Écrivain, journaliste, linguiste, orateur et soldat, fut considéré comme l’héritier spirituel de Herzl à la tête du Sionisme politique. Né à Odessa, il écrivit ses premiers articles sous le pseudonyme d’Atalena, comme correspondant de journaux de sa ville natale, en Italie, où il fit ses études de droit. Dès le début de sa carrière politique, en 1903, il a été l’un des chefs et principaux inspirateurs de « l’auto-défense en Russie ». Il rédigea à la conférence de Helsingfors (1906) le programme qui devint la Charte du judaïsme de Russie : égalité civique, droits de minorité nationale, renaissance de l’hébreu, etc.
En 1914, quand la guerre mondiale éclata, il prit le parti des Alliés contre la majorité « neutraliste » des dirigeants sionistes officiels. Il préconisa, avec l’aide de Haim Weizmann, la création de forces juives, ce qui aboutit en 1917 à la fondation des « Régiments juifs de Fusiliers » dans l’armée britannique, où il servit avec le grade de lieutenant. En 1920, lors des pogroms antijuifs de Jérusalem, il organisa la Haganah, ce qui lui valut d’être condamné à quinze ans de prison.
La sentence cassée, il entre dans l’Exécutif de l’Organisation Sioniste Mondiale en 1921. La même année, il fonde le Bétar (Brith, Trumpealdor) groupement de jeunesses « activistes », puis en 1925 l’Union Mondiale des Sionistes Révisionnistes, qui reprend et rénove la doctrine du Sionisme politique contre les méthodes du Sionisme « pratique ». Dès 1933, Jabotinsky engage la lutte contre le Reich hitlérien et crée la Ligue du Boycottage de l’Allemagne nazie. À partir de 1936, il parcourt l’Europe orientale dont il presse les communautés juives, surtout en Pologne, d’abandonner ces régions et d’appliquer un « plan d’évacuation massive », avec pour objectif la Palestine. À cet effet, il organise les premiers efforts d’immigration « illégale » en Terre Sainte. En 1937, Il patronne la naissance de l’Irgoun Tsvi Léoumi dont il assume le commandement.
En 1940, au début de la seconde guerre mondiale, il réclame la formation d’une armée juive.
(Revue encyclopédique juive, n° 9, septembre 1968).
L’auteur de la Pravda continue : « De nombreux cas sont connus où la gestapo choisissait parmi les sionistes des gens pour être les kapos dans les camps de la mort et recrutait parmi eux une police spéciale qui veillait au maintien de l’ordre dans les ghettos »…
« Pendant les dernières années, par l’intermédiaire de touristes, de journalistes occidentaux accrédités en U.R.S.S., de commerçants de passage, d’étudiants stagiaires, le trust sioniste international a tenté d’organiser l’entrée illégale en U.R.S.S. d’une littérature sioniste rédigée en russe et a organisé dans notre pays une sorte de clandestinité sioniste. »
Après avoir critiqué les activités de la Ligue de Défense Juive présidée par le Rabbin Kahane, l’auteur de l’article publié dans la Pravda des 18-19 février 1971 conclut :
« Les organisations sionistes sont actuellement en train de fabriquer d’urgence une ligue mondiale de défense juive. Elles font des préparatifs pour un « sabbat antisoviétique international »…
« Messieurs les sionistes doivent savoir depuis longtemps et pour toujours qu’il n’y aura pas de place pour le sionisme dans notre pays. »
Cet article semble bien être l’aboutissement de 40 ans de propagande antisioniste !
Lorsque, dans les années 30, Staline a décidé d’en finir avec le particularisme juif, il entreprit un combat qui visait à la fois l’appartenance religieuse des juifs, le goût pour une culture propre, leur attachement à une langue et leur sympathie pour l’idée sioniste. Progressivement, le maître du Kremlin a réussi à éliminer la religion, la culture yiddish et à transformer la conscience pro-sioniste en sentiment de culpabilité.
« Le sionisme apparaît comme la dernière séquelle de judéité dans l’âme juive ».
La naissance de l’État d’Israël a transformé les sympathies envers le projet sioniste en un véritable mouvement d’opinion plus ou moins clandestin qui provoqua des réactions d’une rare violence chez Staline et dont l’aboutissement fut les exécutions de 1952…
(adapté de JID, Les Juifs en U.R.S.S., par Gérard Israël, (Édition Spéciale, Document, © Éditions Publications Premières, Paris, 1971).
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Thierry-Ferjeux Michaud-Nérard.
Intéressant mais il aurait été judicieux d’insérer le passage où Staline aide à la création de l’état d’Israël et lui fournit des armes via la Tchécoslovaquie pour combattre les armées arabo-musulmanes.
Même si Staline se contrefichait des juifs, son but était d’affaiblir l’axe américano-britannique et de prendre pied au Moyen-Orient.
Article paru dans le Télépro du 22/9/2022 https://www.telepro.be/decouverte/creation-disrael-le-role-meconnu-joue-par-staline.html
En 1947, les Nations unies adoptent un plan de partage de la Palestine en deux États, l’un israélien et l’autre arabe. Aujourd’hui, la tragédie vécue par les Juifs d’Europe légitime l’existence de cet État hébreu, au point que le monde a oublié le jeu cynique joué par les grandes puissances dans sa création. Et comme le rappelle «Les Coulisses de l’Histoire», samedi à 20h35 sur La Trois, Joseph Staline a joué un rôle de premier plan dans ce dossier.
Née au XIXe siècle en même temps que le mouvement sioniste, la question de la création d’un État juif en Palestine revient sur le devant de la scène à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Entassés dans des camps, des milliers de rescapés de l’Holocauste refusent de retourner dans leur pays d’origine.
Or, un nouveau départ dans le berceau de leurs ancêtres s’avère compliqué. Les Anglais, qui gouvernent le territoire, s’opposent à leur venue. Londres, qui tient à ménager ses alliés arabes, leur a promis de restreindre les conditions d’entrée dans le pays. Au grand désespoir des premiers pionniers qui rêvent de fonder un vrai État face à une population arabe bien supérieure.
À la tête de l’Agence juive, David Ben Gourion combat cette politique migratoire et active ses réseaux aux États-Unis, forts d’une importante communauté juive. Rapidement, des divergences de vue se font sentir entre Londres et son allié américain. Voyant l’occasion de mettre un pied au Moyen-Orient, d’où l’URSS a toujours été écartée, Joseph Staline entre dans la danse.
Bourbier palestinien
Moscou autorise les Juifs des pays occupés par son armée à franchir les frontières. Une marée humaine se met en marche vers les pays alliés, qui croulent sous le poids des réfugiés.
La situation met le feu aux poudres. Des filières d’immigration clandestine vers la Terre promise se multiplient et une vague d’attentats frappe les intérêts britanniques à Jérusalem durant l’été 1946. L’année suivante, les Anglais jettent l’éponge.
Staline jubile : le front anglo-américain est rompu, le mandat britannique est à l’agonie et l’URSS est en position de force pour peser sur les débats. Les Nations unies sont chargées de trouver une issue au conflit : Ben Gourion plaide pour la création de deux États, l’un israélien et l’autre palestinien, Jérusalem devenant une zone internationale.
Si la plupart des pays démocratiques sont ralliés à la cause sioniste, la grande inconnue reste l’URSS qui, contre toute attente, se déclare favorable. «Ce soutien soviétique à la création d’un État juif en Palestine fut une surprise pour tous les acteurs de l’époque», écrit Laurent Rucker dans «Staline, Israël et les Juifs» (PUF). «Il a longtemps intrigué les historiens.»
Et pour cause, «Staline décida de soutenir le mouvement sioniste au moment même où il engageait, dans son propre pays et dans les « démocraties populaires » est-européennes, une nouvelle vague de répression dont les Juifs étaient l’une des cibles principales.»
Armes tchécoslovaques
Pour les Juifs, la joie est de courte durée car, au lendemain de l’annonce de l’indépendance d’Israël en mai 1948, les voisins arabes s’apprêtent à attaquer. Avec sa modeste armée, Ben Gourion ne peut rivaliser. Il lui faut des armes !
Une fois de plus, Staline vole à son secours. Sous la pression du Kremlin, la Tchécoslovaquie se révèle un fournisseur de premier choix, permettant au tout jeune État hébreu de remporter la victoire. Ben Gourion remercie Staline. Mais la lune de miel entre les deux pays sera de courte durée, le «Père des peuples» voyant finalement dans l’enthousiasme des Juifs soviétiques pour Israël une menace visant à les détourner de l’idéal communiste…