Tel-Aviv, la ville qui ne dort jamais, est en deuil. Tout est fermé, il n’y a presque personne dans les rues. Ca ressemble au temps du Covid, lorsque les gens sortaient pour promener leur chien et faire quelques courses. On évite de sortir parce qu’on ne sait jamais, on ne veut pas être comme un con dans la rue lorsqu’une alerte à la bombe retentit. Et pourtant, je dois dire que nous ne sommes pas les plus à plaindre ici, à Tel-Aviv.
Il y a une semaine, un missile est tombé au coin de ma rue. Toute la rue a pris cher, plus de bagnoles, deux baraques détruites, les magasins n’ont plus de vitrines. On a eu de la chance, il n’y a eu qu’un blessé. Alors j’ai décidé de partir chez les parents de mon copain en banlieue proche de Tel-Aviv, ça fait une semaine que j’y suis. Ils ont un «mamad», une chambre bunker. Nous vivons à 6 dans cet appartement, le frère de mon copain est là aussi avec son partenaire. Je n’arrive pas complètement à m’y faire à ces alertes à la bombe, pourtant il y en a tous les jours, 2-3 fois par jour. Et j’angoisse à chaque fois. Je suis sur le qui-vive. Dès que j’entends un bruit, je prête l’oreille… Mais non, c’était juste une trottinette électrique qui passait dans la rue. Le son est identique au déclenchement de l’alerte. On a de la chance, on a des «mamads» mais on a aussi le dôme de fer pour nous protéger. Sinon, à ce rythme-là, il n’y aurait plus d’Israël, puisqu’ils envoient des centaines de missiles pour essayer de contre-jouer le dôme, leur technique est de bombarder un maximum afin que certains missiles ne soient pas interceptés.
Aujourd’hui, c’est l’enterrement de ma copine Bar. Elle a été tuée au Festival Nova par les terroristes. Ca faisait une semaine qu’on attendait désespérément de ses nouvelles, on ne savait pas si elle avait été kidnappée, tuée…Elle a appelé son père le matin de l’attaque terroriste, lui disant qu’ils étaient là et qu’ils leur tiraient dessus. On ne sait pas ce qu’il s’est passé après. Je travaillais avec elle. Je ne la connaissais pas bien mais je la voyais régulièrement et on se marrait. Elle avait toujours des ongles impeccables, avec des couleurs délirantes. Elle avait toujours une écoute attentive. Elle avait toujours un truc gentil à dire. Mes copains m’ont demandé si je voulais aller à l’enterrement et je n’ai même pas pu répondre. Je n’y arrive pas. Parce que ça rendrait la chose réelle et j’ai besoin de rester encore un peu dans ce brouillard mental qui rend les choses floues.
Bar Tomer, 25 ans, assassinée par le Hamas lors du Festival Nova le 07 Octobre 2023
La seule façon que j’ai trouvée pour rester forte, c’est de me porter volontaire. Mais je ne sais plus où donner de la tête. Il y a tellement de choses à faire, cependant tous les endroits sont bondés de monde. Il n’y a pas de place pour tous ceux qui veulent aider. Il faut reloger tous les habitants du Sud qui ont tout perdu. Toutes ces familles qui n’ont plus rien et qui ont perdu un proche, un membre de leur famille, même pire, toute leur famille. C’est magnifique à voir, tous les gens qui donnent leurs appartements à ces familles. Des centaines d’appartements vides et certains hôtels ont ouvert leurs portes à ces familles. Des centaines d’Olims (les nouveaux immigrants venant du monde entier) qui quittent le pays et laissent leurs appartements à tous ceux qui ont besoin d’être relogés (j’ai reçu il y a deux jours un SMS de la municipalité qui indiquait que l’on accueillait 20.000 Israéliens). Souvent, ces familles sont parties avec rien. Alors de nombreux Israéliens donnent leurs vêtements, les enfants donnent leurs jouets, des livres à ces familles du Sud qui ont vécu les pires évènements. Mais aussi du Nord car ça n’était pas «safe» d’y rester.
A gauche : une famille qui a collecté des fonds pour acheter des ballons de football et de basket-ball afin d’en faire don aux enfants déplacés par la guerre. A droite : Les telaviviens réunis pour envoyer du matériel et de la nourriture aux familles et soldats.
Les Israéliens se rassemblent dans les restaurants de Tel-Aviv pour cuisiner pour ces familles mais aussi pour les soldats. Plus de 300.000 réservistes ont été appelés, de nombreux copains en font partie. Des fichiers xl tournent sur Facebook avec des listes d’équipement pour les soldats. Mais où est-ce qu’on trouve des gilets pare-balles ? Et où est le gouvernement? Il ya tellement de personnes qui se portent volontaires que dès que je vois un post, le temps que je traduise (mon hébreu n’est pas terrible) sur google translate, il y a déjà dix personnes qui y ont répondu pour apporter leur aide. Sans parler des animaux. Beaucoup de chiens se sont échappés, beaucoup d’animaux blessés, des centaines d’animaux à secourir et tellement, tellement de gens qui se portent volontaires pour accueillir nos amis à quatre pattes. Il y a deux jours, je suis allée à la shiva (période de deuil de sept jours observée après les funérailles) d’une famille qui venait de Sderot et qui a perdu leur fils. Ils ont été relogés à Tel-Aviv dans un appartement que quelqu’un leur a prêté. Sur mon chemin, chaque personne que j’ai rencontrée allait à la shiva ou en revenait. En arrivant dans leur appartement, ils avaient tellement de nourriture, gâteaux, petits plats gourmands confectionné par de parfaits inconnus comme moi, qu’ils auraient pu nourrir tout un kibboutz.
Je dois faire un break. Une alerte vient de retentir et je dois me mettre en sécurité. On a entendu les «boums» dans le ciel. Et mon cœur bat la chamade.
Red Alert est une application qui permet de suivre toutes les alertes à la bombe par région.
Plus de 170 otages. Où sont-ils ? Sont-ils encore en vie ? Parfois, j’essaie de me mettre à la place de ceux qui ont un proche qui a été kidnappé. Comment font-ils pour supporter cela ? Car c’est insupportable.
L’armée riposte. Des milliers de Gazaouis sont évacués, les images de Gaza, détruite… On pointe du doigt les atrocités de l’armée israélienne qui tue des innocents, des enfants, qui détruisent leurs maisons, en faisant totale abstraction de la raison pour laquelle l’armée riposte. Qui est la cible ? Et pourquoi?
J’essaie de m’informer et de relayer l’information. Bien sûr, on y trouve de tout et j’essaie de rester le plus neutre possible. Je me suis retrouvée dans un groupe qui tente de relayer de l’information sur des profils qui soutiennent les Palestiniens, des influenceurs, des médias pro-palestiniens. En grattant un peu sur ces profils pro-palestiniens, je me suis sentie démunie.
“Le compte d’un influenceur qui a 603K followers, il soutient la cause palestinienne. Il est écrit: Tout le monde, attendons la fausse vidéo qu’ils vont faire de moi, de la même façon qu’ils l’ont fait pour les bébés brûlés, menteurs, menteurs
La propagande qui circule, le détournement d’images et le déni en masse de ces actes terroristes, ces gens qui nous rient à la gueule, qui affirment que les photos de ces femmes violées, de ces enfants massacrés, à la tête coupée, de ces gens brûlés dans leur propre maison sont des montages sur Photoshop, alors que les terroristes du Hamas ont, eux-mêmes publiés, avec fierté, ces atrocités. Je me suis retrouvée de fil en aiguille sur Telegram où de nombreuses photos de ces actes innommables étaient publiées. Le temps que je comprenne où j’étais tombée, j’ai eu le temps de voir deux photos… Et j’ai eu envie de vomir. J’ai tout éteint, tout arrêté et je suis restée dans le silence pendant un long moment. Sous le choc.
C’est juste inhumain. Innommable. Horrifiant. Je n’ai pas les mots…
Mes amis et connaissances me demandent si je vais bien et m’envoient leurs pensées. Chaque message que je reçois me réchauffe le cœur.
Mais que répondre ? Je dirais que je vais bien, comparé à de nombreux Israéliens qui m’entourent, mes amis, mes frères et sœurs. Je suis accablée. Je suis en colère. J’ai peur. Je suis révoltée. Je suis triste. Triste, c’est amoindrir ce que je ressens.
Alors je fais une pause. J’essaie de me détendre. Et puis je me dis que ce n’est pas en me détendant que je vais faire la différence. Alors je repars en boucle, volontariat, animaux à sauver, infos, demander à mes amis comment ils vont, alerte à la bombe…
Ce texte est bouleversant même si j’ignore qui l’a écrit.