D’une sortie d’Égypte à l’autre, l’interminable Délivrance d’Israël

Le Peuple juif commémore donc sa libération de l’esclavage en Égypte suivie de sa traversée du désert à partir de la Dixième plaie qui s’était abattue sur les Égyptiens. L’Exode qui dura quarante années symbolise une liberté recouvrée, un processus de purification, une quête de spiritualité, un voyage intérieur au plus profond de soi après avoir séjourné dans un pays considéré comme impur et pour pouvoir accéder à un recommencement dans un Nouveau Monde à construire.

Que cette histoire ait vraiment eu lieu dans un passé lointain, ou que pour certains elle ne soit qu’une simple parabole, un mythe, une métaphore, ce qui nous intéresse c’est sa valeur symbolique et prédictive, un moyen d’unir le visible et l’invisible dans ce qu’il dévoile d’une intention réelle qui a un sens plus profond que ce qu’il dit allégoriquement au sujet des différents exils qu’endura le «Am Israël» (Peuple d’Israël) au cours de son histoire !

Ce dont il est question dans ce que symbolise cette traversée du désert durant l’Exode, c’est un travail sur soi, collectivement, dans le but de se libérer de nos esclavages personnels et collectifs, sociaux, physiques et psychologiques au prix d’une prise de conscience et d’efforts continus pour accéder à davantage d’humanité.

Des différentes notions associées à la sortie de l’exil d’Égypte, prototype de l’asservissement, nous en retiendrons particulièrement deux, de manière non exhaustive, dans ce texte bref.

Au sujet des «49 degrés d’impureté» qu’avaient atteints les Hébreux lors de leur séjour en esclavage dans l’Égypte antique qui était réputée par sa débauche, et par voie de conséquence par son impureté spirituelle. L’exil en Égypte eut pour conséquence une descente dans les tréfonds des «49 portes de l’impureté», c’est-à-dire d’occultation et d’enfouissement de la lumière divine.

Cependant, nulle part il n’est écrit quelle est précisément la nature de chacun des 49 degrés d’impureté ou, à l’inverse, de pureté qu’il faudrait atteindre.

Le Zohar (2) nous enseigne que ce nombre de «49»provient du fait que la sortie d’Égypte est mentionnée 49 fois dans la Torah pour nous indiquer que nous devons sortir des 49 types d’impureté du fait qu’en Égypte les Hébreux avaient adopté des pratiques idolâtres analogues à celles des Égyptiens dans une Égypte connue pour être immorale en infectant les esprits.

Parmi ces pratiques empreintes de perversité de l’Égypte, il y a toute ambition malsaine, tout désir ne provenant pas de la vérité la plus authentique qui puisse y avoir, c’est-à-dire inspiré par la recherche du Bien et l’on parlera alors de la «pureté du cœur» ou de l’intention qui préside aux actes sur un registre exclusivement moral et philosophique.

Même si la liste de ces impuretés n’est pas établie, peuvent être considérées comme telles dans cette recension, la médisance pour souligner la puissance redoutable de la langue, le parjure, la débauche des mœurs et les perversions, l’orgueil, le vol, la jalousie, les pensées négatives et, au niveau le plus élevé, l’homicide. Il s’agira alors d’impuretés desquelles nous devons nous dégager parce qu’agissants comme un catalyseur de toutes nos mauvaises pulsions et enfin, le culte des morts étant considéré au plus haut point de l’impureté par le judaïsme.

Les Hébreux avaient donc chuté, à l’instar des Égyptiens empreints des mœurs perverses de l’Égypte, jusqu’au 49ème niveau d’impureté (50 est le degré le plus bas dont on ne se relève pas) et dès lors, D.ieu ne pouvait pas leur donner la Torah alors qu’ils se trouvaient si régressé : Ils devaient, préalablement à cette réception gravir ces degrés pour pouvoir y prétendre.

 «Comme on attrape la lèpre en touchant les écrouelles d’un lépreux, ainsi l’âme contracte la lèpre des âmes en fréquentant le mal, en se laissant envoûter par le fluide du mal» fait remarquer Vladimir Jankélévitch (1) qui souligne la complaisance violente et naturelle qu’a l’humain envers l’impureté et la transgression qui justifient souvent les pires comportements, voire la complaisance envers elles.

A l’inverse, les dix plaies d’Égypte, autant elles ont été un châtiment pour les Égyptiens, elles ont été à l’inverse un remède pour le cœur et l’âme d’Israël : à chaque coup frappé, la conscience juive se dégageait davantage de son «écorce» et procédait ainsi à l’élimination du penchant au mal et une plus grande conscience de la proximité avec le divin.

C’est en cela que le récit de l’Exode possède une signification existentielle, à la fois pour le Peuple hébreu dans son entier et pour les individus en particulier. Il est une libération de la servitude d’Égypte réelle dans ce qu’elle symbolise, et il participe aussi à façonner la vie des individus. C’est le sens de l’injonction de la Hagada de Pessah’ : «A toutes époques, nous devons nous considérer comme étant sortis nous-même de l’Égypte» et pour cela, chacun doit se considérer, le soir de Pessah’, et tout au long de l’année, comme rédempté ou en cours de rédemption, c’est-à-dire dégagé de l’étroitesse morale d’Égypte.

D’où cette injonction : «Et tu te souviendras que tu as été esclave au pays d’Égypte», ce qui peut aussi se lire comme tu as été esclave en exil (Deutéronome 5:15) qui est le raisonnement le plus commun servant de base à tous les commandements moraux.

Au sujet du concept d’«érèv rav» (עֵרֶב רַב) qui signifie la «tourbe nombreuse» ou «assafsouf» (אסַפְסֻף) signifiant «ramas» et désignant, dans le contexte, un groupe d’étrangers qui se seraient joints aux six cent mille Hébreux lors de l’Exode en sortant d’Égypte (יציאת מצרים Yetsi’at Mitzrayim).

Ce terme, discuté, n’est explicitement mentionné qu’une seule fois dans la Bible hébraïque pour décrire qu’ils se sont joints aux 600.000 Hébreux qui fuyaient Ramsès pour rejoindre le pays de Canaan. Il constitue l’un des évènements fondateurs de judaïsme avec le Don de la Torah sur le Mont Sinaï qui est célébré lors de la fête de «Chavouot» (qui commencera la nuit de samedi 4 juin 2022 et célébrée le 6 Sivan. Le mot «Chavouot» signifie «semaines» en référence aux 7 semaines d’attente du don de la Torah au Mont Sinaï.)

Bien que Moïse soit loué par les Sages du judaïsme pour les avoir acceptés au sein du Peuple d’Israël, il est imputé au «érèv rav» d’avoir poussé le Peuple à la faute (Exode 32:7).

C’est pourquoi la tradition juive en fait soit des «convertis insincères», soit des intrus et des opportunistes quand il leur fallait fuir la terreur des plaies qui s’abattaient sur les Égyptiens. On leur attribue la responsabilité des fautes d’Israël dans le désert et des comportements indignes qui se manifestent parmi les Juifs, et ce jusqu’à ce jour dans leur descendance.

La littérature kabbalistique (traitant de la doctrine juive ésotérique) dans le Zohar (2) dit au sujet du «érèv rav», que ceux qui sont ainsi désignés se distinguent au sein du Peuple juif par des comportements négatifs, déloyaux à l’égard de leur peuple et dénigreurs vis-à-vis de la Terre d’Israël (cf. des «méraguelim», les «explorateurs» 14-4, Bamidbar).

Ce point de vue repris par le Gaon de Vilna (3) explique que le «érèv rav» désigne ceux qui, parmi le peuple, s’associent à ceux qui parmi les Nations causent du tort au Peuple juif et que l’on retrouve dans l’histoire moderne comme «étant le désir de certains juifs «décalés» d’être reconnus sur le plan social dans un environnement hostile aux Juifs». Ils sont considérés comme des «ennemis de l’intérieur» de leur peuple ou des «juifs anti-juifs», tellement assimilés et influencés par des valeurs non juives hostiles aux Juifs qu’ils sont devenus, par eux-mêmes, des ennemis de la nation juive.

C’est ce que dit aussi en d’autres termes Theodor Lessing (4) à propos des juifs haïssant leur identité juive, des «juifs de négation» dit-on aujourd’hui du fait qu’ils ont intériorisé le discours antijuif au point qu’ils en sont à se détester eux-mêmes.

Si nous extrapolons cette notion de «érèv rav» pour en faire un concept plus général, on peut admettre que les Juifs, en général, ont tous été ou sont encore à des degrés différents des exilés ou des «guérim tséddéq» (des convertis sincères), des Juifs «galoutiques» ayant emporté aux talons de leurs souliers des poussières d’exil sans opérer de «tri sélectif» entre le mauvais et le meilleur des influences subies et qu’il y a donc du «érèv rav» en chacun de soi. C’est pourquoi les Juifs peuvent être sortis de l’Égypte physique, mais il est autrement plus laborieux de faire sortir de soi l’Égypte dans ce qu’elle symbolise de négativité.

La réalisation de cet espoir a été la restauration de l’État d’Israël. Mais le judaïsme ne sépare pas la rédemption du groupe de celle de l’individu, et il n’y a pas de sens à la rédemption de la nation juive si les individus continuent à agir, dans leurs comportements individuels, en esclaves de leurs pulsions primaires et de leurs mauvaises influences. C’est pour cela que le «hamets» («le levain») qui provient de la levure qui fermente est utilisé comme métaphore pour désigner les «mauvais penchants» de l’homme et du négatif à l’intérieur de l’individu. C’est en cela que l’esclavage subi par les Hébreux en Égypte symbolise celui de nos mauvaises habitudes, de nos défauts, de nos souvenirs toxiques, de nos pulsions et de nos passions excessives. L’aspiration à la rédemption est collective, mais elle ne peut être réalisée sans la libération des individus de leur esclavage personnel, mental et comportemental. La possibilité de surmonter cette quasi-détermination ne peut se réaliser qu’au prix d’un perpétuel combat entre soi et soi-même.

On pourrait aussi définir ce moment comme l’acte final des «temps messianiques» ou dit autrement pour ceux qui ont une réticence avec cette notion, de ce qui conduit le monde actuel vers celui qu’on désigne comme le «monde à venir»  espéré comme meilleur. Ce que les idéologies dites «progressistes» qui ne sont rien d’autre que des théologies politiques prônant la venue d’un homme providentiel et la venue d’un monde plus juste dans une «lutte finale du genre humain» (cf. chant de «L’Internationale») en poussant à changer le monde. Tentatives ayant toujours conduit à son envers totalitaire…

La révélation de la Loi reçue au mont Sinaï ouvre la voie d’un salut général à toute l’humanité. Tant que ce travail n’est pas achevé, notre penchant naturel menace toujours d’être un penchant au mal.

Mais cette place et cette fonction assignées à Israël lui attire, immanquablement, depuis toujours, la vindicte universelle, une haine et une rivalité irrépressibles qui sont autant une haine du projet d’humanisation de l’homme, qu’une haine d’Israël comme instance morale étant perçue comme un «surmoi» interdicteur de régresser.

C’est ainsi que les empires conquérants se sont toujours attaqués à Israël parce qu’ils perçoivent en lui l’obstacle à leur quête de toute-puissance absolue en voulant s’approprier de manière mimétique et violente le «supposé secret d’éternité» que détiendrait Israël. Que ce soit en convoitant son titre, mais en rejetant la charge qu’elle implique, et en recourant pour ce faire à une alliance objective, toujours à l’œuvre, entre Esaü et Ismaël, entre la chrétienté et l’islam comme on le voit à l’œuvre en permanence.

C’est ce qu’est l’histoire d’Israël – et l’histoire humaine à travers lui –, une histoire qui construit l’intériorité de l’homme en lui faisant intégrer le lien avec la Transcendance.

L’enjeu essentiel est donc la gestion du psychisme humain qu’il faut délivrer de son penchant naturel au mal («yetser ha-ra»). C’est là qu’Israël tire sa justification du travail de rédemption morale et spirituelle qu’il accomplit.

Aujourd’hui il est toujours question de guerres (militaires, psychologiques ou morales), et l’éventualité d’un ennemi ou d’une coalition prête à anéantir le peuple juif n’est pas un fantasme. Nous le savons, l’histoire d’Israël et de l’humanité est un drame si l’on pense au fait qu’Israël est le seul pays, le seul peuple menacé dans son existence.

L’impureté qui doit être pensée comme une maladie spirituelle enferme la personne dans ce qui est mauvais.Elle résulte toujours d’un passage de la vie à la mort ou du mortifère, d’un certain degré de perfection à une imperfection, parfois radicale sous la pression des forces de dislocation, de confusion et de stupéfaction nombreuses et actives dans les sociétés dites modernes.

Il suffit de voir comment les sociétés dites «ouvertes», Israël n’y échappant pas, c’est-à-dire au meilleur comme au pire subissent des influences profondes, tels le wokisme, la «cancel culture», le transhumanisme abrasant tous les repères et attaquant toutes les valeurs.

Les Hébreux, en vivant la prodigieuse aventure de l’Exode – les dix plaies et la traversée de la Mer Rouge – ont été, par son formidable impact, projetés soudainement de l’état d’esclavage à celui de liberté physique.

Cependant, les miracles d’Égypte ne furent qu’un tremplin en prévision des possibilités spirituelles qui allaient leur être offertes. En effet, une unique expérience, aussi forte qu’elle puisse être, ne peut pas changer le comportement psychologique de quelqu’un d’une façon permanente. Ce n’est qu’après un long exercice et des efforts continuels d’adaptation et de vigilance qu’on peut y arriver.

C’est ce qui fait dire qu’on peut faire sortir les Juifs d’Égypte, mais on ne peut pas faire sortir l’Égypte des juifs dans ce qu’elle symbolise de négativité.

L’avenir, tant en Israël que dans le monde nous fait douter quant à savoir s’il est porteur de grands espoirs que de craintes, surtout si l’on observe l’agitation et l’instabilité du monde actuel.

Si l’on observe les guerres entre les grandes puissances et les menaces constantes qui pèsent sur Israël, l’antisémitisme en France et en Europe, tout cela laisse à penser qu’il ne suffit pas à l’Etat juif d’être restauré territorialement et de s’ouvrir aux exilés, le poison et la menace de l’exil s’invitent à l’intérieur, remettant en cause ses frontières et son droit d’exister.

Le soir du séder de Pessa’h, l’assemblée lit un passage en ponctuant la lecture des châtiments infligés aux Égyptiens par un «Dayénou» [דַּיֵּנוּ] : «cela nous aurait suffi !»

On peut paraphraser cette formule du fait qu’aujourd’hui, bien que revenu sur sa terre et disposant de son État, malgré cela le Peuple juif voit son existence toujours contestée : «Dayénou» ! / Au sein même de son pays et ailleurs en Europe et en France, ses ennemis tuent et massacrent des Juifs : «Dayénou» ! / Les lieux sacrés du judaïsme lui sont soit interdits comme à Jérusalem soit vandalisés comme à Sichem : «Dayenou» ! / Malgré cela, les puissances étrangères dont la France-rance, l’actuel gouvernement fourbe des États-Unis, l’Europe, les pays arabo-musulmans et parmi eux, ceux-là mêmes ayant signé des accords de «paix» avec Israël, les instances internationales condamnent Israël à cause des émeutes déclenchées par les arabo-musulmans contre les Juifs : 

«Dayénou» ! Procédant à un déni de souveraineté d’Israël, l’Europe finance et organise des constructions à l’insu de l’État d’Israël : «Dayénou» ! / Et parce que nous sommes dotés de la pire coalition de l’histoire d’Israël qui procède à la sortie d’Égypte en marche arrière, celle-ci pactisant avec nos ennemis au détriment du peuple d’Israël, interdit aux Juifs d’accéder sur le Mont du Temple : «Dayénou» [דַּיֵּנוּ] ! : «Tout cela nous suffit !!!»

Malgré tous ces tourments aussi dramatiques soient-ils, nous devons saisir ce qui se passe, non pas comme des évènements isolés, mais comme quelque chose qu’il importe de situer dans une direction générale qui lui confère un sens, une signification particulière s’inscrivant dans un processus consistant à combattre les ennemis d’Israël, à libérer Israël du joug que tentent d’imposer les nations, de favoriser les retours de tous les exilés motivés pour rejoindre leur peuple et leur terre, et de mettre à jour le sens caché de tous ces évènements et de restaurer Jérusalem dans sa souveraineté !

Nous savons que nous aurons inéluctablement des obstacles. Ce qui est important, c’est d’être conscients, d’être forts, unis et de nous diriger vers la bonne direction.

Le Roi Salomon nous dit dans les «Proverbes» (24,6) : «Car le juste tombe sept fois et se relève. Il n’est pas celui qui ne fait jamais d’erreur, mais plutôt celui qui ne renonce pas, ne désespère pas.»

© Schlomo Goren pour Israël 24/7.org. Diplômé en sociologie, en Sciences de l’Education et en psychologie. A exercé de nombreuses années en France comme Intervenant indépendant dans tous les secteurs (éducatifs, prisons, psychiatrie, etc.) sur les problèmes de violence.

  1. «Le Pur et l’Impur», Vladimir Jankélévitch, Champs essais, 1978.
  2. «Le Zohar», (Livre de la Splendeur), Éditions Verdier, 1984.
  3. «Voir «Le retour à Sion, de l’idéalisme au pragmatisme de Juda ha-Hassis au Gaon de Vilna et ses disciples», Emmanuel Schieber, 2020.
  4. «La Haine de soi, le refus d’être juif», Théodore Lessing, 2001.
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