Par Eden Levi-Campana
Il n’est pas nécessaire de rappeler l’amitié, le respect, le soutien entre les peuples corses et juifs, depuis toujours. Comment expliquer ces liens ? Il y a des évidences et puis il y a une écriture entre les lignes. Il est facile d’aller vers les poncifs en rappelant que certains patronymes insulaires ont des origines hébraïques (Giacobbi, Simeoni, Zuccarelli, Padovani, …), ou encore de s’engouffrer dans les stéréotypes de l’Histoire. On évoque alors de grands évènements connus, comme ce navire en 1915 qui est arrivé dans le port d’Ajaccio, un matin de décembre avec 744 personnes, juifs expulsés de Palestine par les ottomans, ou encore l’accueil incroyable des juifs italiens par le général Pasquale Paoli au sein de sa République Corse en 1764, qui déclare à leur propos : «Chaque homme établi sur la terre franche de notre patrie a le droit de choisir ses magistrats et ses représentants. La liberté n’a ni confesseur ni inquisiteur.».
Et puis il y a une lecture, plus subtile de la migration des peuples et des civilisations. Prenons un exemple concret : mars 1492, la reine Isabelle de Castille (dite la catholique) et le roi Ferdinand II d’Aragon décrètent au nom de la «pureté du sang» l’expulsion des juifs de leur royaume, sous peine de mort et de confiscation de leurs biens (ou les deux si possible).
C’est le temps des conversions forcées, le temps des sacrifices, le temps des marranes, le temps de l’exil pour des dizaines de milliers de familles qui ont quitté les terres ibériques pour fuir vers l’Empire ottoman et l’Afrique du Nord. Difficile d’avoir le nombre, mais rien que pour le Portugal, submergée par une vague migratoire, on dénombre de 90 000 à 120 000 juifs venant de Castille.
Et là, oh surprise, aucun hébreu ne serait arrivé en Corse selon certains historiens. Imaginons un Moïse non identifié, séparant les eaux en deux, entre la Sardaigne et la Corse, pour que le peuple juif puisse marcher tranquillement jusqu’à Constantinople. Ou alors autre version, les juifs sont bien arrivés massivement en Corse, sans sonner «le shofar» ni «le cornu» et se sont fondus dans le paysage. Vu la faible densité de la population dans l’île à l’époque ce n’est pas la théorie la plus fantasque. Cela aurait au moins l’avantage d’expliquer pourquoi il y a tant de similitudes entre la culture corse et juive, depuis toujours et encore aujourd’hui. Cette évidence est contestée par des historiens corses, qui racontent l’histoire de leur point de vue. Il ne faut pas y voir de la mauvaise foi de leur part, plutôt une méconnaissance des cultures juives et corses dans un contexte de persécution… et l’influence récente d’une certaine presse.
La politique s’invite donc à la table de l’Histoire, ou plutôt les politiques. Il y a la politique des experts et la politique des comptoirs. Patron, servez-nous un arak ! Depuis l’importation du conflit Israélo-Palestinien en Europe dans les années 2000, chacun à un avis sur la question. Etant donné la complexité de la guerre au Moyen-Orient, les plus mesurés seront toujours les plus justes.
Dimanche dernier, le Fonds social juif unifié (FSJU), le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et l’Ambassade d’Israël organisaient un évènement majeur : «la célébration des 75 ans de l’État d’Israël à Paris». Des artistes étaient invités mais aussi des personnalités telles que Le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant, ou encore le député Meyer Habib. En passant derrière la tente des invités, je surprends une conversation entre le chanteur Michel Fugain et le député de la huitième circonscription des Français établis hors de France. Michel Fugain ne manque pas de rappeler tous les liens entre la Corse et Israël et le député Habib conclut : «Nous serons toujours reconnaissants aux Corses qui n’ont déporté aucun juif pendant la Shoah, c’est exceptionnel». Il n’est pas nécessaire de rappeler l’amitié, le respect, le soutien entre les peuples corses et juifs mais pourquoi ne pas le faire ? Quoi de mieux que la politique du cœur ?
© Eden Levi-Campana pour Israël247.org
Eden Levi-Campana est cinéaste et journaliste corso-israélien, reporter et correspondant pour divers médias internationaux. Membre de « l’Union des Déportés d’Auschwitz », il est particulièrement sensible aux questions de l’antisémitisme et de la Shoah. En qualité d’auteur, de script-doctor et de biographe, Eden travaille depuis trente ans pour des sociétés de productions de films et des maisons d’éditions françaises, anglaises, américaines et israéliennes.