Et pourquoi, en hommage au geste empreint d’humanité du défenseur Bert Sproston il y a 84 ans, 7 membres de notre famille iront voir les Spurs contre la Roma à Haïfa samedi.
Les immigrants du Royaume-Uni en Israël viendront en grand nombre samedi soir pour assister à un match amical de la pré-saison du club de football anglais Tottenham Hotspur contre l’AS Roma au stade Sammy Ofer de Haïfa, dans le nord d’Israël.
Le club du nord de Londres a longtemps été associé à ses supporters juifs, comme l’a expliqué le Jewish Chronicle, à tel point que ses fans – juifs et non juifs – ont fini par adopter l’épithète insultante « Yid » que leur lançaient leurs rivaux, et ont été surnommés « les Yids » et « l’armée Yid ».
Mais pour notre famille, Tottenham a une signification particulière. L’un de ses joueurs a sauvé la vie de mon beau-père.
Ralph Freeman (alors Rolf Friedland) est né à Berlin en 1920 et était un fervent joueur et fan de football dès son plus jeune âge.
À la fin des années 1930, seul et sans ressources, il cherchait désespérément à quitter l’Allemagne.
Son jeune frère avait été envoyé aux Etats-Unis en 1936 avec une organisation humanitaire.
Ses parents avaient obtenu des visas et étaient partis en Angleterre, d’où ils avaient vraisemblablement tenté de faire venir Rolf, sans succès.
Le Kindertransport – l’effort de sauvetage visant à faire sortir les enfants de moins de 17 ans du territoire contrôlé par les nazis pour les emmener en Grande-Bretagne – n’avait pas encore été organisé et de toute façon, Rolf aurait été trop âgé pour en bénéficier.
Le 4 mai 1938, juste avant son 18e anniversaire, il était allé voir l’Angleterre battre l’Allemagne 6-3 à Berlin.
Le match, auquel ont assisté des personnages tels que Hermann Goering, Rudolf Hess et Joseph Goebbels, est moins connu pour la victoire de l’Angleterre que pour le spectacle de l’équipe anglaise faisant le salut nazi avant le début du match.
Quelques heures avant le coup d’envoi, le secrétaire de l’Association de football et futur président de la FIFA, Stanley Rous, avait informé l’équipe anglaise qu’elle devait faire le salut nazi en signe de respect envers les hôtes allemands.
Les joueurs étaient furieux et Nevile Henderson, ambassadeur de Grande-Bretagne à Berlin, avait dû intervenir pour expliquer que le salut était un geste protocolaire et non une approbation du régime nazi.
Le capitaine Eddie Hapgood – qui aurait comparé Hitler à son ex-petite amie, lui disant qu’elle avait une moustache plus fournie – aurait répondu qu’ils pouvaient « se fourrer le salut nazi là où le soleil ne brille pas ».
À la fin du match, Rolf Friedland était resté trainé dans les parages en attendant que les joueurs anglais sortent du stade et il s’est approché de l’arrière gauche anglais, Bert Sproston, le suppliant de l’inviter en Angleterre.
Sproston, qui jouait alors pour Tottenham Hotspur, n’est pas un fan des Allemands. Il aurait déclaré (avec un accent anglais du nord-ouest) : « Je ne suis qu’un ouvrier de Leeds. Je ne connais rien à la politique et à ce genre de choses. Tout ce que je connais, c’est le football. Mais de la façon dont je vois les choses, cet ‘Itler feller’ est un petit con maléfique (idiot) ».
Dès son retour chez lui, Sproston, avec l’aide de Tottenham, est allé sans attendre à la Football Association pour demander la permission d’inviter Rolf à visiter l’Angleterre pour assister au match Angleterre contre le reste du monde à Highbury, dans le nord de Londres, le 26 octobre de la même année.
Les documents nécessaires sont autorisés et fournis, et le 22 octobre 1938, Friedland quitte l’Allemagne, pour arriver au port de Harwich, sur la côte est de l’Angleterre, quatre jours plus tard.
Sur invitation de Tottenham, le jeune homme ahuri a passé ses trois premières nuits dans les vestiaires du club à White Hart Lane.
Son prochain défi consistera à prolonger son visa de deux semaines au-delà de la date butoir du 9 novembre, date à laquelle il aurait dû retourner en Allemagne. Il se rend à Woburn House, juste à côté d’Euston Road, dans un bureau créé pour venir en aide aux réfugiés. Là, il réussit à faire prolonger son visa jusqu’à la fin de l’année et, par la suite, pour plus longtemps, après avoir obtenu un emploi de maraîcher dans une propriété familiale du Hertfordshire.
Une nouvelle vie
En juin 1941, Rolf s’est engagé dans le British Royal Pioneer Corps, qui accepte les recrues des nations ennemies, parmi lesquelles de nombreux Juifs autrichiens et allemands.
En 1943, il a changé son nom pour un nom plus anglais, Ralph Freeman, afin d’être moins facilement identifiable comme juif s’il venait à être capturé comme prisonnier de guerre.
En juin 1943, alors qu’il se trouvait sur une plage galloise proche de sa base, Ralph a sauvé la vie d’un garçon qui se noie, ce qui lui a valu un témoignage honorifique de la Royal Human Society, signé par le duc de Gloucester.
Il a aussi partagé une baraque avec le défunt magnat de l’édition d’origine tchèque Robert Maxwell, alors connu sous le nom de Ján Hoch, qu’il méprisait.
En 1944 il sera blessé en France lors de la bataille de la poche de Falaise.
Il va sans dire que mon beau-père est devenu un supporter à vie de Tottenham et qu’il est resté en contact avec les Sproston pendant de nombreuses années. Bert Sproston est décédé en 2002.
La grand-mère de Ralph a péri à Theresienstadt, un camp-ghetto en Tchécoslovaquie. L’un de ses oncles était à bord SS St Louis, qui a quitté l’Allemagne en mai 1939 en direction de Cuba, d’où les 900 passagers espéraient rejoindre les Etats-Unis. La Havane ayant refusé de les laisser accoster, tout comme les États-Unis lorsque le navire a tenté de jeter l’ancre au large de la Floride, le navire a dû retourner en Europe. L’oncle, un des 254 passagers, a été tué alors que les nazis étendaient leur filet sur l’Europe occidentale.
Si Ralph a pu être sauvé, ce n’est que grâce à ce geste remarquable et empreint d’humanité de Sproston. Il se mariera avec Eva Gusdorf, elle-même originaire de Berlin, et dont les deux parents ont péri aux mains des nazis. Le couple a eu un fils, mon mari, qui a immigré en Israël en 1974 et qui a aujourd’hui cinq enfants et six petits-enfants, tous vivant à Jérusalem et dans les environs.
Ralph et Eva, qui avaient monté une entreprise florissante à Londres et créé une fondation pour aider les enfants à besoins spéciaux, ont immigré en Israël en 2005. Ralph est décédé à l’âge de 89 ans en 2010, suivi d’Eva, âgée de 95 ans, en 2013.
Sept membres de notre famille vivant en Israël seront présents au stade Sammy Ofer samedi. Car, dans notre foyer, la passion de Ralph pour le football britannique a une dimension durable et très personnelle.
© Equipe de rédaction Israel247.org.
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Source : Timesofisrael