Au cours de la période précédant les élections de l’année dernière, la plupart des analystes politiques ont prédit que le parti islamiste Ra’am s’effondrerait parce qu’il acceptait de travailler avec des législateurs israéliens de droite. Ils se trompaient tous. Parmi les principaux instituts de sondage, seul Yousef Makladeh a constamment prédit que le parti entrerait à la Knesset.
Un an plus tard, alors que des élections se profilent à nouveau à l’horizon, Makladeh affirme cette fois que les votes ne sont pas suffisants pour que le parti aux quatre sièges revienne à la Knesset. Qu’il fut le seul à avoir raison la première fois ne garantit évidemment pas qu’il ait raison aujourd’hui.
Les sondages, cependant, lui donnent raison. Ils montrent tous que les Arabes Israéliens refusent d’accorder un nouveau mandat à Ra’am.
Pourquoi ? Parce que de nombreux Arabes doutent que le parti ait réussi à apporter un changement tangible à leurs communautés.
Ra’am, l’aile politique du Mouvement islamique du sud d’Israël, est devenu le premier parti arabe indépendant à entrer dans un gouvernement de coalition israélien en juin 2021. Après un an au pouvoir, de nombreux engagements clés du parti restent à moitié réalisés, et les Arabes israéliens ne voient pas le changement promis.
Pour le chef du parti Ra’am, Mansour Abbas, la question est de savoir si sa base sera suffisamment satisfaite de ses maigres résultats pour leur donner une autre chance.
« Bien sûr, à court terme, nous avons compris que cette expérience prendrait du temps pour porter ses fruits. Mais il s’agit encore de réalisations extrêmement modestes qui ne correspondent pas à la gravité des besoins », a déclaré un haut responsable du Mouvement islamique. « Elles ne sont pas ce qu’elles auraient dû être, ni ce que [Abbas] souhaitait », a ajouté le responsable, sous couvert d’anonymat.
Ra’am profondément divisé sur le succès de l’année écoulée
Si de nombreux Israéliens arabes sont favorables à la formation d’une coalition, ils attendent une sorte de retour sur leur investissement. Mais Abbas a peu de réalisations tangibles à montrer à ses électeurs. Trop, beaucoup trop pour la droite israélienne, et infiniment trop peu pour les Arabes, voilà comment se résume cette expérience politique.
- Du point de vue arabe, Ra’am a été incapable de bloquer la législation qui pourrait nuire prétendument au statu quo du Mont du Temple de Jérusalem.
- Il n’a pas non plus permis de bloquer le renouvellement de la loi sur la citoyenneté, qui interdit le regroupement familial pour les Palestiniens qui épousent des Israéliens et tentent d’obtenir la résidence permanente en Israël.
« À long terme, je continue de penser que c’est une grande réussite – être un partenaire, partager la réalité de ce que vivent les citoyens arabes ou palestiniens dans la société israélienne, placer nos causes au centre de la discussion », a déclaré le responsable du Mouvement islamique.
Mais la réaction sévère de la droite israélienne à l’entrée de Ra’am dans la coalition a également laissé des traces, a laissé entendre le responsable.
« Le sentiment est que nous tous, Arabes et Juifs, entrons dans un tunnel sombre, où les questions vont s’enchevêtrer de plus en plus et où la polarisation ne fera qu’augmenter. Si Abbas échoue, qui pourra jamais réussir ? », a déclaré le fonctionnaire.
Doit-on rappeler à ce responsable politique que sans attaques terroristes – je veux dire, sans jets de pierre, cocktails molotov, drapeaux israéliens arrachés et tentatives quasi constantes de tuer des juifs, peut-être que la polarisation diminuerait-elle ?
Budgets votés, alloués, mais bloqués
Abbas s’est engagé à apporter des améliorations concrètes dans les domaines de la santé, de l’éducation et des infrastructures, à lutter contre la montée de la violence et du crime organisé, et à placer la vie quotidienne des Arabes israéliens au cœur du programme du gouvernement.
Sous la direction d’Abbas, la coalition a signé un plan quinquennal qui a transféré 30 milliards de NIS (8,6 milliards de dollars) pour réduire les écarts avec les communautés arabes israéliennes, ainsi que 2,5 milliards de NIS supplémentaires (722 millions de dollars) pour lutter contre la vague de criminalité qui balaie les villes et villages arabes.
L’argent est censé toucher tous les domaines de la vie des Arabes israéliens : emploi, éducation, santé, transports publics, enseignement de l’hébreu, logement, infrastructure et planification urbaine.
Mais des mois plus tard, une grande partie de l’argent est toujours dans divers ministères du gouvernement. Le dernier plan quinquennal de 10 milliards de NIS (3,8 milliards de dollars) pour le développement des communautés arabes a également vu une grande partie de son financement s’étioler, englué dans la paperasserie.
À la fin de l’année 2021, environ 2 milliards de NIS prévus pour cette initiative sont restés bloqués dans le trésor public israélien, même après que le programme ait été prolongé d’une année supplémentaire pour tenter de débloquer les fonds restants.
Les responsables israéliens travaillaient sur le plan de suivi dit « 923 » pour les communautés arabes israéliennes depuis des années, bien avant l’arrivée d’Abbas au pouvoir. Mais la présence de Ra’am dans la coalition a sans aucun doute joué un rôle dans l’importance des fonds qui ont été alloués en novembre dernier.
Pour les dirigeants locaux arabes, la principale crainte est que le plan quinquennal actuel connaisse le même sort que son prédécesseur.
« Les budgets, les décisions du gouvernement, tout cela était bon. Mais jusqu’à présent, c’est resté de l’encre sur du papier », a déploré Amir Besharat, conseiller principal du Conseil national des maires arabes.
Les représentants du gouvernement affirment qu’ils s’efforcent de réduire autant que possible les formalités administratives ; le dernier plan quinquennal a connu des retards similaires dans la répartition des fonds. Mais la ministre de droite Ayelet Shaked a également mené des efforts pour garder autant d’argent public que possible dans les ministères, plutôt que de le fournir directement aux municipalités arabes.
Le bureau de Mme Shaked a fait état de nombreux rapports selon lesquels des syndicats du crime dans les villes arabes ont réussi à faire pression sur les chefs des conseils locaux pour qu’ils cèdent les contrats publics de construction et d’enlèvement des ordures, transformant ainsi les fonds publics en un moteur du crime organisé.
En raison de ce blocage, M. Abbas n’a encore rien à montrer pour ses efforts. Et les responsables affirment que le financement est un outil essentiel pour susciter des changements qui contribueront à étouffer la plus grande priorité des Arabes israéliens : mettre fin à la vague de criminalité qui décime leur communauté. Il est permis de douter.
« Nous pensons que la lutte contre la criminalité doit s’appuyer sur deux éléments : le renforcement de la police d’une part, et d’autre part, le développement économique, en donnant aux jeunes des compétences, etc. », déclarait l’année dernière au Times of Israel Hassan Tawafrah, qui dirige un bureau gouvernemental destiné à faire progresser le développement économique des Arabes israéliens.
Violence, crime organisé et omerta
Dans tous les sondages réalisés avant les élections de l’an dernier, une grande majorité d’Arabes israéliens ont indiqué que leur priorité absolue était de mettre fin à la vague de criminalité meurtrière qui frappe leurs communautés. Mais lorsque des enquêtes sont déclenchées suite à un crime, ils gardent le silence, par peur, ce qui empêche d’attraper les coupables.
Bilan : 44 Arabes ont été tués en Israël depuis le début de l’année 2022, soit autant que l’année dernière à la même époque, qui avait connu un triste record.
Au cours des six dernières années, les syndicats du crime organisé se sont métastasés dans les villes et villages arabes, doublant presque le taux de meurtre. Les coups de feu sont devenus monnaie courante même dans les villes arabes de classe moyenne, tandis que de nombreux Arabes ordinaires sont tombés sous la coupe de rackets de protection et d’usuriers du marché noir.
Abbas et le reste du gouvernement nouvellement établi ont pris l’affaire au sérieux. Depuis le premier ministre jusqu’au bas de l’échelle, les fonctionnaires ont mis en place des groupes de travail, alloué des fonds et défini des propositions et des objectifs politiques clairs.
« Je n’ai pas promis le changement en un an ou deux ans. Mais lorsque vous demandez aux Arabes israéliens : y a-t-il un mouvement ? La réponse est oui », a déclaré le vice-ministre de la sécurité publique, Yoav Segalovitz, lors d’une conférence organisée par Haaretz la semaine dernière.
Pendant un certain temps, il a effectivement semblé que les choses évoluaient dans la bonne direction. La police israélienne a sévi contre les trafiquants d’armes et procédé à des centaines d’arrestations. Des semaines se sont écoulées sans un seul meurtre et le nombre de fusillades a diminué de 40 %, selon la police. Et brusquement, tout s’est retourné.
« Au cours de l’année écoulée, nous avons constaté une très, très légère amélioration. Mais c’est loin d’être suffisant. Nous voyons encore des fusillades, des meurtres et des crimes, tous les jours », a déclaré au Times of Israel, en février, Jabr Hijazi, dont le frère Ahmad a été tué par balle lors de tirs croisés entre des criminels armés et la police l’année dernière.
Pour d’autres Arabes israéliens, les plans et déclarations officiels ne se sont pas encore traduits par un sentiment renouvelé de sûreté et de sécurité.
« Les rackets de protection, les familles criminelles, les armes – tout est encore là. Dans notre ville, il n’y a toujours pas de police. Toutes les conversations reviennent sur la criminalité parce que nous sommes tous en danger », a déclaré Ahmad Melhem, un militant de la ville arabe de Wadi Ara.
« Tout le monde est toujours une victime potentielle », a ajouté Melhem, « que ce soit devant le centre commercial, sur son lieu de travail, devant sa maison, ou n’importe où ailleurs. »
Villages bédouins illégaux
La base de Ra’am se trouve dans le désert du Néguev, où les Bédouins ont voté en grand nombre pour les islamistes. En échange, Ra’am s’est engagé à tenir ses promesses sur les questions qui leur importent le plus : mettre fin aux démolitions de maisons illégalement construites et légaliser les hameaux construits sans permis un peu partout dans le sud.
Cependant, les législateurs de droite ont de plus en plus exigé que le droit soit respecté à l’égard de la criminalité bédouine et des habitations illégales, rendant politiquement toxique toute action considérée comme favorable à leurs communautés.
Le maire de Rahat, Fayez Abu Suheiban, un fonctionnaire de rang intermédiaire du Mouvement islamique, a défendu le bilan de son parti dans le sud.
« Nous constatons de meilleurs services pour le public. À Rahat, les budgets supplémentaires améliorent la vie des gens. Faire partie de la coalition a été une expérience bénie et importante pour les citoyens arabes », a déclaré Abu Suheiban.
Mais malgré l’accès de Ra’am au pouvoir, les démolitions dans les villes bédouines se sont accélérées en 2021. Selon le ministère de la Sécurité publique, environ 3 004 bâtiments illégaux démolis, soit environ 500 de plus qu’en 2020.
« Y a-t-il eu quelque chose de nouveau et de substantiel qui a vraiment changé les choses ? C’est la question, et c’est ce que nous ne voyons pas », a déclaré Taleb al-Sana, un ancien député de Lakiya qui s’est présenté sur la liste du parti de Ra’am pendant une décennie.
Des dizaines de villages bédouins clandestins ne sont toujours pas reconnus : toutes les constructions y sont illégales, avec un accès limité à l’eau ou à l’électricité légales.
- D’une part, les islamistes ont obtenu la reconnaissance officielle de trois villages bédouins illégaux – Rahma, Khashm al-Zena et Abda – dans leur accord de coalition.
- Mais les trois hameaux avaient été approuvés des années plus tôt comme candidats à la légalisation par le gouvernement.
- En 2020, la reconnaissance des trois villages a fait l’objet d’un vote au sein du cabinet israélien. Mais le vote a échoué après que des ministres favorables aux pionniers ont exigé que certains avant-postes illégaux de la Rive occidentale soient légalisés en échange.
- En janvier, les tensions dans le Néguev ont atteint leur paroxysme lors d’affrontements liés aux efforts de reboisement soutenus par l’État israélien. Les Bédouins ont perçu la plantation comme une tentative de les chasser de « leurs terres » qui pourtant ne leurs appartiennent pas, ce qui a déclenché des nuits de violence arabes et des dizaines d’arrestations.
M. Abbas a négocié l’arrêt des violences contre la reconnaissance de dix villages bédouins supplémentaires. Les émeutes ont pris fin, les reconnaissances supplémentaires n’ont jamais eu lieu.
Loi sur l’électricité
Le parti Ra’am a fait passer un changement de politique à la Knesset, suscitant une opposition féroce et une longue bataille législative. La loi sur l’électricité, destinée à permettre aux maisons arabes construites sans permis d’être raccordées au réseau électrique israélien, a opposé Ra’am à Shaked, une nationaliste pure et dure. Après des semaines de querelles, une loi de compromis a été adoptée sous les hurlements de l’opposition.
Tant Ra’am que l’opposition de droite ont présenté la législation comme un succès politique de grande envergure pour les islamistes. Mais les experts affirment que l’impact sur le terrain a été nul jusqu’à présent.
- Dans les villes bien établies du centre d’Israël, plus de 100 000 Arabes israéliens vivent dans des maisons construites illégalement qui ne peuvent pas avoir d’électricité.
- Ces maisons sont souvent construites sur des terrains privés qui n’appartiennent pas aux propriétaires des maisons, mais en raison de plans municipaux obsolètes ou d’absence de titres de propriété, les résidents ne peuvent pas obtenir de permis de construire. Sans permis, les maisons ne peuvent pas être raccordées à l’électricité.
- Dans l’intervalle, les habitants dépendent de ce que l’on appelle les « réseaux pirates », des connexions improvisées au réseau électrique qui créent des réseaux de câbles entrecroisés dans des quartiers entiers. Les boîtiers électriques explosent régulièrement, provoquant des incendies, et les pannes sont fréquentes.
Ra’am a proposé un amendement à la loi israélienne :
Si une maison est construite dans les limites légales d’une ville existante, sur des terres agricoles qui pourraient un jour être légalisées, le ministère de l’Intérieur pourrait autoriser le raccordement de la maison au réseau – plutôt que d’attendre des années ou des décennies que les autorités finissent de légaliser la propriété.
Mais la droite israélienne, menée par Shaked, a protesté contre le fait que la loi permettrait de raccorder trop de maisons, encourageant ainsi les constructions illégales, nouvelles et existantes.
Shaked a exigé des restrictions beaucoup plus strictes sur les maisons qui pourraient recevoir de l’électricité et des centaines de milliers de shekels de garantie de la part des propriétaires. N’ayant guère le choix, Ra’am a accepté le compromis, mais les critiques disent que l’accord dépouille la loi.
« La version finale de la loi impose tellement de conditions qu’il est extrêmement difficile d’obtenir de l’électricité », a déclaré Wajdi Khalayleh, expert en planification urbaine chez Sikkuy, une organisation à but non lucratif qui promeut une politique équitable entre Arabes et Juifs en Israël.
M. Khalayleh estime que la version finale de la loi ne prévoit qu’environ 1 050 foyers pouvant bénéficier de l’électricité. Un « très petit nombre » d’entre eux ont été autorisés, a déclaré Khalayleh.
À Wadi Ara, environ 3 000 foyers sont connectés illégalement au réseau électrique. Jusqu’à présent, aucune d’entre elles n’a été raccordée à l’électricité en vertu de la nouvelle loi, a déclaré Melhem.
« Cette loi a brûlé beaucoup d’énergie et de gros titres et nous en avons discuté pendant des mois », a déclaré Melhem. « Mais au final, il ne s’est rien passé ».
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Source : ToI