Les Etats-Unis semblent aujourd’hui plus accommodants avec l’Iran qu’avec Israël. Mais le gouvernement israélien serre les dents, et apparait décidé à ne pas critiquer publiquement la diplomatie de Joe Biden.
Yair Lapid qui pilote (jusqu’aux élections de novembre 2022) la coalition anti-Netanyahu à la Knesset, campe ferme sur la ligne qu’il s’est fixée : ne jamais critiquer publiquement la politique iranienne des Etats-Unis. Pas question d’aller, comme Benjamin Netanyahu l’avait fait en 2015, devant la Chambre des représentants à Washington, dénoncer la politique d’« accommodement » du président des Etats-Unis avec l’Iran. En 2022, la diplomatie israélienne a pris le parti d’être polie avec le pays le plus puissant de la planète lequel se trouve être également – en principe – son meilleur allié.
Bien sûr, dans le secret des réunions au sommet, les Israéliens ne se privent pas d’évoquer leurs inquiétudes. La perspective qu’un nouvel accord entérine -plus ouvertement encore que feu le JCPOA de 2015 -, l’accès de l’Iran à l’arme nucléaire, est perçu à Jérusalem comme un danger mortel.
Biden de son côté a multiplié les déclarations d’amitié à Israël et affirme qu’il ne laissera jamais l’Iran faire partie du club des puissances nucléaires. Joe Biden et Yair Lapid ont même signé une déclaration commune dans laquelle les Etats-Unis se disent prêts à user de « tous les éléments de leur puissance nationale » pour empêcher l’Iran d’accéder à l’arme atomique.
Soit ! Mais en Israël, le doute gagne. L’équipe Biden est-elle fiable ? Que valent vraiment ses protestations d’amitié et ces déclarations communes au regard des nombreux gestes inamicaux – ou du moins perçus comme tels en Israël – en provenance de Washington ? Ainsi, à peine intronisé président, Joe Biden s’est empressé d’affirmer que cette vieille lune de « solution à deux Etats » était seule à même de mettre fin au conflit israélo-palestinien. Une manière de dire que les traités de paix entre Israël et les pays du Golfe ne devaient pas marginaliser la sempiternelle « question palestinienne ». Et pour enfoncer le clou, l’administration Biden a :
- subventionné à nouveau l’Autorité Palestinienne sans rien exiger en contrepartie,
- contribué (à nouveau) au financement de l’UNWRA, l’agence de l’ONU qui gère les réfugiés palestiniens et leurs six millions de descendants,
- insisté pour réouvrir à Jérusalem un consulat aux affaires palestiniennes, celui-là même que Donald Trump avait fermé,
- exprimé publiquement ses « préoccupations » après la fermeture par Israël des bureaux de plusieurs ONG palestiniennes accusées d’entretenir des liens avec le FPLP, une organisation classée par les Etats-Unis et l’Union européenne sur la liste des organisations terroristes ;
- discrédité Pegasus, une technologie israélienne de cyber-renseignement en faisant fuiter des listes de centaines de personnes écoutées à travers le monde. « Lorsque le Mossad (…) a inventé un logiciel ultra sophistiqué qu’ils distribuaient généreusement, les Américains l’ont particulièrement mal vécu (…) De là à penser que les services américains ont été à l’origine des fuites, il y a un pas que certains experts français franchissent sans hésitation » écrit Mondafrique. Le journal israélien Israël Hayom a lui aussi confirmé cette thèse : « une source disposant des plus hautes relations en Israël a déclaré à Israël Hayom que ‘tout le monde sait que les États-Unis ne sont pas disposés à permettre à quiconque de les dépasser. La technologie de NSO a dix longueurs d’avance sur son équivalent américain., alors ils lui scient les jambes telle est l’histoire, tout le monde le sait, mais personne ne veut se battre avec l’Amérique. Nous en dépendons.’ »
- Exercé une pression continue sur le gouvernement israélien pour qu’il reconnaisse sa responsabilité dans le décès de la journaliste de CNN, Shireen Abou Akleh. La pression a été telle que dans un souci d’apaisement et alors qu’aucun élément objectif ne permettait d’attribuer la responsabilité du tir mortel à Israël, Tsahal a lâché du bout des lèvres qu’elle reconnaissait « une probable responsabilité » dans le décès de la journaliste de CNN. Ce geste d’apaisement aussitôt émis n’a (évidemment) rien apaisé du tout. Vedant Patel, porte-parole du département d’Etat a aussitôt fait savoir que les Etats-Unis demandaient fermement à Israël de revoir « les règles d’engagement » de ses soldats de manière « à réduire le risque pour les éventuelles victimes civiles, pour protéger les journalistes et pour empêcher que des tragédies similaires se reproduisent à l’avenir ».
Cette demande américaine semble avoir été la goutte d’eau en trop. Pas celle qui pousse à la révolte, mais celle qui provoque une prise de conscience. Demander à Israël de « revoir les règles d’engagement de ses soldat », revient certes à interférer avec les techniques de défense très élaborées de Tsahal, mais aussi avec des règles qui sont déjà très codifiées sur le plan juridique. Mais pire encore, cela revient à exiger qu’Israël s’en remette à un pays tiers (les Etats-Unis en l’occurrence) pour sa stratégie de défense. Ce a quoi Israël ne s’est jamais résolu, ni avec la France en 1967, ni avec les Etats-Unis, jamais.
« Personne ne nous dictera nos règles d’engagement alors que nous luttons pour nos vies », a déclaré Yair Lapid, Premier ministre, lors d’une cérémonie de remise des diplômes des officiers de la marine à la base navale de Haïfa. Mélanie Philips, journaliste britannique spécialiste des Affaires israéliennes, affirme que « peut-être Israël devrait revoir ses règles d’engagement avec les Etats-Unis » plutôt que celles de ses soldats. Ariel Kahana, éditorialiste d’Israël Hayom explique qu’« avec un langage doux et raffiné, l’administration Biden pousse Israël dans des recoins de plus en plus inconfortables ».
En d’autres termes, cette pression incessante de l’administration américaine pourrait aussi avoir un but pédagogique : habituer le gouvernement israélien, ses élus et ses médias à ne rien dire… si les négociations avec l’Iran aboutissent.
Yves Mamou