Poutine face à Zelensky, la conscience juive de l’Holodomor et de la Shoah par balles

Jusqu’à il y a peu, beaucoup de gens et notamment des Juifs, considéraient Vladimir Poutine comme porteur d’une nouvelle approche des relations internationales, un pragmatique et, assurément, une tout autre version relookée de la Russie post-soviétique.

La constance et la solidité de la coordination russo-israélienne dans l’espace aérien syrien, négociée en tête-à-tête avec Bibi Netanyahu, où Heyl Haavir, l’aviation israélienne, jouit d’une liberté d’action presque totale, pour œuvrer contre l’ennemi, l’Iran et ses milices chiites, nous ont livré une image tronquée d’un homme habile, doué de discernement entre adversaires et partenaires. Il y a aussi toutes ces légendes qu’il a savamment cultivées, sur l’accueil qu’il avait reçu d’une famille juive de son immeuble lui donnant quelques enseignements de Torah, ou encore cette institutrice juive qu’il a réinstallée dans un appartement de Tel-Aviv en signe de reconnaissance.

Si bien qu’un tel homme ne pouvait que recevoir le «Bon D. sans confession» d’une bonne partie de l’opinion juive mondiale, principalement en Israël, où vivent près d’un million et demi d’anciens résidents des ex-Républiques Soviétiques.

Pourtant, face à la question majeure où il aurait dû faire usage de toute cette subtilité qu’on lui prêtait à crédit, ce portrait illusoire s’est fissuré pour laisser transparaître la face cachée, mais sinistrement classique, de l’ogre russe que les pays voisins ont eu tout loisir de fréquenter de trop près, tout au long des siècles. Celui, précisément, qu’Israël, puissance du Moyen-Orient, ne tient pas du tout à croiser dans sa sphère d’influence.

L’histoire de l’Ukraine et de la Russie est complexe, entremêlée, car née au même sein de la Russie de Kiev. Mais les principautés issues de cette première entité slave au confluent des mondes scandinaves et byzantins, par le couloir du Dniepr, précèdent de près de trois siècles l’émergence de la principauté de Moscou, apparue en 1276, à la suite de la succession d’Alexandre Nevski. La Russie ayant une capitale moscovite en son épicentre est donc une petite sœur tardive des princes de Kiev, qu’on n’appelait pas encore «Ukrainiens». Elle ne peut en revendiquer la dominance par droit d’aînesse.

Bref, quand, repris par son instinct prédateur post-soviétique, Poutine exprime toute la haine qu’il voue à la nouvelle Ukraine démocratique du fou du Roi, le Juif Zelensky, non seulement le Maître absolu du Kremlin fait preuve d’une ignorance sans borne de sa propre histoire, mais c’est un peu comme s’il mettait à mort sa propre mère-patrie, la Sainte Rus de Kiev, qui ne deviendra que longtemps plus tard la «Sainte-Russie», les rapports de force et de vassalité ne s’inversant que bien après. On l’entend qui traite son pouvoir de «Nazi» et de «drogué», pérore que ce pays «n’existe pas», ou serait le fruit de l’imagination de Lénine, au début du XXème siècle révolutionnaire. Est-ce de ce genre d’histoire remaniée qu’on lui a enseignée au KGB qu’il s’agit ?

Pour parler du pouvoir en place à Kiev comme de «Nazis», il lui faut se référer à l’ère de la libération de l’Europe du fléau hitlérien, qui avait fait de nombreux adeptes parmi les foules ukrainiennes. Mais c’est sans compter sur le ressentiment et les renversements d’alliances dans l’histoire des peuples. Lorsque Hitler accède au pouvoir en Allemagne, l’Ukraine traverse l’une des pires périodes génocidaires de son histoire, avant d’aborder la suivante, qui sera celle de la Shoah par balles : c’est d’abord le fameux génocide des Ukrainiens par la faim, planifié par Staline en 1932-1933, et où plusieurs exécuteurs à la tête de l’armée rouge sous ses ordres étaient des Juifs communistes.

Ce n’est que depuis l’ouverture des archives soviétiques, dans les années 1990 que l’on évoque l’extermination par la faim des Ukrainiens et depuis les travaux, notamment du Père Patrick Desbois, à partir de 2004, que l’on aborde la question de «Shoah par balles» dans les anciens pays de l’Est. Les deux mémoires se croisent donc très récemment pour générer une nouvelle conscience nationale ukrainienne, faite d’un double travail de mémoire des fils sur l’histoire de leur père. Des Ukrainiens martyrisés par les Rouges ont pu haïr leurs voisins juifs, parce que les hordes fascistes hitlériennes les leur montraient comme les meilleurs alliés en osmose de l’idéologie «judéo-bolchévique». Il n’en fallait pas plus en période inflammatoire, pour enclencher génocide sur génocide. Comprendre ces deux phénomènes n’est pas «pardonner», car personne ne le peut à la place de ceux qui l’ont réellement vécu.

L’élection de Volodymyr Zelensky est le fruit de ce désir de clarté politique et de vérité historique sur la période soviétique comme sur la précédente et ses cortèges de cadavres, à cause des deux pires idéologies monstrueuses du XXème siècle. Elle est directement fondée sur le rejet des oligarques corrompus de la nomenklatura décadente au pouvoir jusqu’à l’émission comique «au service du peuple» qu’il a animée, avant d’en faire un parti politique fondé sur la transparence, au sein d’une génération assoiffée de démocratie réelle. Zelensky, amuseur public, enfant d’Oleksandr Zelensky et Rimma Zelenska, des scientifiques d’origine juive et russophone ne cadre pas vraiment avec le portrait que Poutine ose de ce nouveau pouvoir et de sa réelle conscience patriotique.

Il peut prétendre que ce pays précédant la naissance de la Russie n’a «jamais existé», mais il ne fait qu’en raviver la flamme des cendres auxquelles il entend à nouveau le réduire. Si les 13 grandes régions ou 24 oblasts ukrainiens avaient jusqu’à présent du mal à s’unifier, l’invasion poutinienne fait tout pour qu’en surgisse la conscience d’être un Etat-nation.

Zelensky, cible n°1 des Spetsnaz, en ressort grandi, en tenue de combat sur les vidéos et fait briller cette Ukraine résistante et renaissante, issue du croisement des pires massacres et qui n’a plus peur de l’ogre russe. Le maître du Kremlin n’a pas saisi qu’en tentant de l’écraser, par contraste, c’est le génie tragique du Juif au service de la grandeur de son pays et de son histoire, par-delà les flots de sang versé, qui rejaillit.

De fait, c’est, au contraire, l’image même, encore assez ambiguë du personnage de Poutine qui s’enlise dans le bourbier de la mise à sac de Kiev et perd toute aura qu’on lui prêtait aisément jusqu’à présent. On dit à cette heure que les Russes ont apporté leur version du MOAB (Mère de toutes les bombes) sur le champ de bataille ukrainien, ce samedi 26 février, le troisième jour de leur invasion. Il s’agirait du Tos-1 Buratino, ainsi que de missiles de croisière tirés par la flotte russe de la mer Noire, sur Kiev et d’autres villes où les combats font rage.

Le ministère ukrainien de l’Intérieur a averti samedi matin les civils de ne pas sortir de la rue et de rester aussi calmes que possible. «Si vous avez un refuge, restez-y», disait le message. “Sinon, éloignez-vous des fenêtres et des balcons, abritez-vous dans les salles de bains et courez vous mettre à l’abri lorsque vous entendez des sirènes.”

Le président Volodymyr Zelensky a marché dans les rues de Kiev sous les bombardements et a pris des selfies pour diffuser son message : «Je suis là. Nous ne déposerons pas les armes (suite à des fake news poutiniennes diffusées sur les réseaux sociaux inféodés). Nous défendrons notre État, car nos armes sont notre vérité».

Son geste visait à réfuter les affirmations russes selon lesquelles il avait fui la capitale assiégée.

Zelensky demeurera la conscience à vif de l’Ukraine massacrée, alors que Poutine se transforme en fossoyeur de la grandeur de la Russie. Les foules de Saint-Pétersbourg et d’autres grandes villes authentiquement russes ont honte du comportement de leur armée et du dictateur qui en a pris la tête. Poutine peut tenter d’écraser Kiev, la mère-patrie de tous les Ukrainiens et de beaucoup de Russes, à l’aide de ses missiles de croisière et de son Tos-1 Buratino.

Des deux, Zelensky restera comme le grand homme devant l’histoire, qui se lève contre l’esclavage imposé, comme les 13 suppliciés héroïques de l’île du Serpent, bombardés par deux bâtiments navals russes suréquipés, alors qu’ils tenaient la position. Le Kremlin a mis le feu à une région qui sent la souffrance lui brûler la peau depuis trop de siècles et où les Juifs ont eu plus que leur part. Poutine aura abaissé la Russie au stade de la Barbarie mangeuse d’hommes, à l’instar du Staline de l’Holodomor…

© Marc Brzustowski pour Israël 24/7

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