Il y a une dizaine de jours, en contact avec Meir Levy, militant sioniste depuis de nombreuses années contre les sectes «antisionistes», c’est-à-dire antisémites (BDS, AFPS, Collectif «Palestine vaincra», etc.), j’avais presque naïvement suggéré l’organisation de convois destinés aux Juifs ukrainiens, en vue de leur assurer une livraison de produits pour Pessah (Pâques).
Comme beaucoup d’entre nous, Julien est bouleversé par le sort des Juifs de la ville de Jytomyr (d’une population globale d’un peu moins de 300.000 habitants) située à 130 kilomètres à l’ouest de Kiev ; ville où il finance déjà depuis de nombreuses années un orphelinat affilié à l’association Lev Layeled («Un cœur pour un enfant») spécialisée dans le secteur d’activité de l’hébergement social pour enfants en difficulté et gérée par Nissim et David.
Ironie du sort, il y a à peine moins d’un an, c’était jour de fête à Jytomyr, à l’occasion de l’inauguration d’un Sefer Torah (un rouleau de Torah manuscrit) dans la grande synagogue de la ville pour la première fois en 100 ans. De nombreux invités étaient présents pour participer à l’évènement, venant de toute l’Ukraine occidentale, d’Israël et d’Europe.
Après la chute du communisme, la communauté de Jytomyr avait retrouvé une nouvelle vie…
Pour mémoire, à Jytomyr, comme dans quasiment toute l’Ukraine, en août 1941, un ghetto y était créé pour y enfermer 3000 Juifs qui seront exécutés ; un mois plus tard, de nombreux autres seront déportés…
Ce n’est que depuis la dislocation de l’Union soviétique, en 1991, que Jytomyr a fait partie de la république d’Ukraine.
Les temps ont brutalement changé pour virer au cauchemar depuis quelques semaines
Il y a des terres infertiles où décidément la vie juive ne pousse pas.
Ma suggestion fut émise sans connaître l’implication de mon frère d’armes dans le sauvetage de Juifs ukrainiens.
Face à l’avancée de l’armée russe en Ukraine, qui réactive sur son passage de vieux et virulents réflexes antisémites au sein de la population locale, 200 enfants ont dû être évacués en urgence, par bus, jusqu’en Moldavie et en Roumanie.
Une fois l’opération effectuée, Meir Levy réussit, non sans mal, à convaincre Lev Layeled de continuer l’exfiltration des adultes et familles juives de la province.
Il faut savoir que pour atteindre la Roumanie, dans le contexte actuel, la durée du déplacement représente environ une cinquantaine d’heures, plus 5 heures d’attente en moyenne au poste frontière. A quoi il faut ajouter le fait que les hommes voulant franchir la frontière roumaine doivent être munis de deux passeports, faute de quoi ils sont automatiquement envoyés au front où se déroulent les combats, au risque de côtoyer des ultra-nationalistes…
Une telle opération nécessite, on s’en doute, des moyens financiers : Meir Levy y contribue spontanément et très généreusement de ses deniers personnels.
Considérant la taille moyenne de la ville de Jytomyr et sa faible notoriété, les nombreuses associations mobilisées sur des opérations de sauvetage se sont centrées surtout sur des villes à plus forte densité de population juive.
Mais très vite est apparue la présence de plusieurs milliers de Juifs aux alentours de Jytomyr, et l’urgente nécessité d’en secourir le plus grand nombre, et de tenter d’en convaincre d’autres qui, paradoxalement – et légitimement en pareille situation d’urgence – sont réticents à quitter les lieux et à abandonner leurs biens.
Plusieurs problèmes techniques et de logistique se posèrent à Lev Layeled et à Meir Levy pour la conduite de cette opération :
« Nous sommes un jeudi soir, et il est impérieux de trouver des véhicules, qui devront être loués sur place, aucun bus, camion, voiture ou mulet franchissant les frontières ukrainiennes ne peut faire demi-tour pour retourner à sa base.
Dans ce contexte de crise, les tarifs des locations s’envolent eu égard au volume de réfugiés potentiels à transporter, et certains interlocuteurs-loueurs ne sont pas nécessairement enclins à jouer les philanthropes avec des Juifs en difficulté…
Il faut aussi tenter de convaincre ceux parmi les Juifs qui ne souhaitent pas quitter leurs maisons, en insistant sur les risques qu’ils encourent.
Même si certaines associations américaines, anglaises, françaises et israéliennes gèrent du mieux possible le sort des réfugiés aux frontières, il est toutefois nécessaire d’anticiper sur «l’après» guerre, notamment auprès du Ministère israélien des Affaires étrangères, qui se retrouve à devoir accueillir dans cette situation d’urgence plusieurs réfugiés, dont seuls 15 % d’entre-eux répondent à la Loi du retour, en Israël… «
Une organisation complexe
L’opération a consisté à :
- Trouver un maximum de moyens financiers dans un minimum de temps.
- Lancer une campagne de dons par le truchement de l’Association Lev Layeled (via «allodons» et d’autres formes de virements).
Dans l’urgence de la situation, il ne s’agissait pas avec l’argent collecté, d’acheter des couches, des sandwichs ou des bouteilles d’eau, bien qu’indispensables, mais prioritairement de sauver des vies, quitte à ce que les personnes exfiltrées ne mangent pas à leur faim pendant 3 jours.
Considérant le volume des campagnes de dons menées en parallèle, le pari était audacieux et le résultat incertain.
Un coût élevé
Heureusement, des militants Loubavitch mobilisés sur cette action de sauvetage, notamment ceux de Paris, d’île de France, mais aussi de Toulouse, entreprirent de solliciter de généreux donateurs un peu partout dans le monde.
C’est ainsi qu’une avance de 20.000 € fût effectuée sous la forme d’un virement par une Yeshiva (école religieuse) de la banlieue parisienne, ce qui permit ainsi, déjà, de réserver quelques véhicules.
- Lev Layeled mobilisa plusieurs militants Habbad parlant l’ukrainien et qui, compte tenu du caractère d’extrême urgence de la situation, où la sauvegarde de la vie passe avant le respect du shabbat, entreprirent de contacter un par un les Juifs dont ils avaient les coordonnées, et qui restaient récalcitrants à l’idée d’un transfert.
- Des relais ont été assurés par des organisations.
- Des dons et promesses de dons parvinrent rapidement par virement.
C’est ainsi qu’un convoi composé de 6 bus et de 43 voitures (!) prit la route ce samedi
D’autres convois, plus modestes, suivront le dimanche. D’autres bus continuent encore leurs actions de sauvetage.
Au total, environ 1600 Juifs ont été sauvés à ce jour, uniquement pour la province de Jytomyr, qui en compterait environ 20.000.
Israël s’organise
L’Etat juif a créé, exceptionnellement en cette circonstance, un visa particulier pour les Juifs qui souhaiteraient regagner l’Ukraine au terme du conflit.
De leur côté, les 200 enfants ont déjà été accueillis par le Premier ministre israélien à l’aéroport Ben Gourion en Israël.
Notons aussi que la consigne avait été donnée, officiellement, de ne pas trop faire état des réactions antisémites au sein de la population ukrainienne (coups, menaces physiques, vols et autres spoliations)…
On pourrait aussi déplorer l’absence de soutien de certaines hautes instances consistoriales, à Paris, ou d’autres notables, en province. Etc.
Mais nous préférons souligner le rôle héroïque de Lev Layeled et de Meir Levy, ainsi que la compassion active et la disponibilité extraordinaire des militants Loubavitch de toute l’Ile-de-France, ainsi que de Toulouse, des organisations locales, et des particuliers qui ont tout mis en œuvre pour accueillir les Juifs ukrainiens souhaitant venir en France.
Soulignons encore que d’autres convois sont en préparation, et que de nombreux Juifs sont mobilisés dans ces actions de sauvetage.
Toutes ces personnes, dévouées, ont démontré par leurs actes l’adage talmudique : «Kol Israel arevim ze la ze», «Les juifs sont responsables les uns des autres».
Pour les contributions : https://www.allodons.fr/sos-ukraine-leylayeled
Entretien avec Yehouda Ben Nissim recueilli par Schlomo Goren pour Israël 24/7.
© Schlomo Goren pour Israël 24/7.org. Diplômé en sociologie, en Sciences de l’Education et en psychologie. A exercé de nombreuses années en France comme Intervenant indépendant dans tous les secteurs (éducatifs, prisons, psychiatrie, etc.) sur les problèmes de violence.
* Les photos et la vidéo ont été prises par le groupe de Toulousains qui ont conduit cette opération.