Les archives de renseignement argentines récemment ouvertes grâce au président Milei montrent comment Josef Mengele, le médecin d’Auschwitz réputé pour ses atroces « expériences », a vécu pendant des années en Amérique du Sud dans des conditions confortables après la Seconde Guerre mondiale.
Les documents révèlent que les autorités disposaient d’informations étendues sur ses activités mais n’ont rien fait.
Les dossiers, rassemblant récits de témoins, pièces d’immigration, résumés de surveillance, photos, correspondances internationales et copies de passeports sous des identités différentes, indiquent qu’il avait été identifié dès son enregistrement comme immigrant en 1950.
Des agences ont suivi ses traces séparément sans jamais consolider leurs investigations, ce qui lui a permis de s’installer ouvertement, d’acquérir des biens et d’ouvrir une entreprise médicale.
Au milieu des années 1950, les services savaient qu’il avait épousé la veuve de son frère, élevé son fils et exploité un laboratoire aidé par sa famille.
Une demande d’arrestation ouest‑allemande de 1959 fut rejetée par un juge ; Mengele disparut ensuite vers le Paraguay puis le Brésil, où il mourut en 1979 en se noyant près de São Paulo. Ses restes furent identifiés plus tard par analyses médico‑légales et ADN.
1. La fuite immédiate (1945-1949)
- Avril-mai 1945 : Mengele quitte Auschwitz devant l’avancée soviétique, se fond parmi les unités SS.
- Juin-août 1945 : Capturé par les Américains près de Nuremberg, il est interné sous son vrai nom mais… les Américains n’ont pas encore sa photo ni son nom sur les listes de criminels de guerre prioritaires (la liste CROWCASS ne le classe qu’en catégorie II). Il est libéré en août 1945 avec des milliers d’autres prisonniers SS.
- 1945-1949 : Il se cache dans une ferme près de Rosenheim (Bavière) sous le nom de Fritz Ullmann, puis Fritz Hollmann. Il est aidé par son réseau familial riche (l’entreprise Mengele Agrartechnik) et par d’anciens SS.
2. L’exfiltration vers l’Amérique du Sud (1949)
- Avril 1949 : Avec l’aide de l’organisation ODESSA (et surtout du réseau de l’évêque autrichien Alois Hudal à Rome), il obtient un passeport de la Croix-Rouge au nom de Helmut Gregor (né à Termeno, Italie).
- 19 juillet 1949 : Il embarque à Gênes sur le North King à destination de Buenos Aires. Il arrive en Argentine le 22 juillet.
3. L’Argentine sous Perón (1949-1955)
- Mengele vit d’abord ouvertement à Buenos Aires sous le nom Helmut Gregor, puis reprend son vrai nom en 1956 quand il fait modifier son passeport.
- Il travaille pour l’entreprise familiale allemande, fait venir sa femme et son fils Rolf, divorce, se remarie avec la veuve de son frère.
- Les services ouest-allemands (BND) le localisent dès 1952 mais ne font rien (certains dossiers déclassifiés montrent qu’ils le considéraient comme un « informateur potentiel »).
4. Après la chute de Perón et le mandat d’arrêt de 1959
- Juin 1959 : La RFA lance un mandat d’arrêt international après la plainte d’un survivant. Eichmann est capturé en mai 1960 → panique chez les nazis en Argentine.
- Fin 1959/début 1960 : Mengele fuit au Paraguay (obtient la nationalité paraguayenne en novembre 1959 grâce au clan Stroessner, d’origine bavaroise).
- 1961-1962 : Il vit au Paraguay, puis sentant le danger (le Mossad recherche activement les nazis après Eichmann), il passe au Brésil en 1962.
5. La vie clandestine au Brésil (1962-1979)
- Il vit sous les noms de José Mengele, Wolfgang Gerhard (identité d’un Autrichien mort), Peter Hochbichler, etc.
- Protégé par le couple hongrois-germanique Geza et Gitta Stammer dans leur ferme près de São Paulo, puis par le couple autrichien Wolfram et Liselotte Bossert.
- Les archives montrent que :
- Le Mossad le localise vaguement en 1962 au Paraguay, mais abandonne la piste.
- Simon Wiesenthal le localise en 1964 au Brésil mais sans preuve.
- En 1971, le BND allemand sait qu’il est au Brésil (informateur) mais ne prévient personne.
- La CIA le suit de loin dans les années 1960 car il côtoie d’autres nazis (notamment Klaus Barbie en Bolivie).
6. La mort et l’identification tardive
- 7 février 1979 : Mengele meurt noyé d’une crise cardiaque en se baignant à Bertioga (Brésil). Il est enterré sous le nom de Wolfgang Gerhard.
- 1985 : Grâce à une dénonciation anonyme et au travail conjoint de la police allemande, américaine et israélienne, le corps est exhumé. Les expertises dentaires et osseuses (fracture du bassin, diastème entre les incisives) confirment à 99,9 % qu’il s’agit de Mengele.
Pourquoi n’a-t-il jamais été capturé ?
- Absence de coordination internationale avant 1959.
- Protection active ou passive de l’Allemagne de l’Ouest (BND), du Vatican, de l’Argentine de Perón, du Paraguay de Stroessner.
- Le Mossad, après Eichmann, a privilégié d’autres cibles jugées plus dangereuses ou plus symboliques.
- Mengele vivait très reclus à partir des années 1960, sans activité politique, donc moins visible.
- Erreurs : en 1960 le Mossad croyait qu’il était toujours au Paraguay alors qu’il était déjà au Brésil depuis un an.
Rendre à César…
Gerald Posner a été le premier journaliste d’investigation à avoir eu accès aux dossiers secrets de l’Argentine sur Josef Mengele en novembre 1984. Tout ce qui figure dans l’article ci-dessus se trouvait déjà dans sa biographie de 1986 sur Mengele. Et en 1991, il a écrit un éditorial dans le NY Times, appelant l’Argentine à ouvrir ses dossiers nazis. Cela coïncidait avec la visite du président argentin de l’époque, Carlos Menem, et du président américain George H. Bush. Cela a incité les Argentins à entamer le lent processus de divulgation de leurs dossiers nazis, qui s’est étalé sur plusieurs décennies. Ils ont attendu jusqu’au début de cette année pour permettre au public de voir l’intégralité des informations auxquelles j’avais eu accès il y a 41 ans. Ce qui est ancien est redevenu d’actualité.
